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amour, il ne fît que porter à ses lèvres la coupe de la gloire et du bonheur. Il mourut jeune dans un profond désenchantement. La nature l’avait formé avec une faveur exceptionnelle. Il semblait que ce fût pour lui que le nom de Prince charmant eût été créé. « Sa bonne mine, jointe à la beauté de son visage, à sa douceur et à un certain air guerrier qui s’y mêlait, commandât en même temps l’amour et le respect. Ses charmes physiques n’étaient rien encore auprès de sa valeur intellectuelle. Il était doué d’un grand fonds d’esprit, d’un jugement solide ; il avait un tour de conversation facile, agréable et naturel, de la lecture, de l’érudition et de la science, même en théologie. » Nul, mieux que lui, n’appréciait le mérite des hommes. Sa qualité maîtresse était un naturel guerrier, un coup d’œil spécial, une bravoure merveilleuse, qui, sur le champ de bataille, devait le porter au premier rang, parmi les capitaines de son temps[1].

Il fit ses premières armes en Hongrie, au cours d’une escapade qui le mit en disgrâce auprès du Roi, Louis XIV n’ayant jamais souffert la désobéissance, même dans la Maison royale. Au lit de mort de M. le Prince le héros, comme on appelait Condé, il n’obtint son pardon qu’en apparence, par l’entremise du grand homme. La rancune royale, un peu de jalousie surtout, de le voir supérieur au Dauphin et au duc du Maine, le poursuivit jusqu’à la fin de sa carrière. Nous n’avons pas l’intention de la parcourir. Saint-Simon en a donné les principaux traits.

Il brilla surtout en campagne sous le maréchal de Luxembourg, aux côtés de son beau-frère M. le Duc[2], son émule sur le champ de bataille comme sur le terrain des lettres et des sciences, enfin surtout son rival ; car, pour l’infortune de sa vie, non moins que pour l’ombre à sa mémoire, Conti était follement épris de sa belle-sœur, la duchesse de Bourbon, fille du Roi et de Mme de Montespan.

A vingt-quatre ans, le 27 juin 1688, il avait épousé, par pure convenance, sa cousine, Marie-Thérèse de Bourbon. Le prince de Conti, dit la chronique, aima la femme qui lui avait été presque imposée par le vieux Condé, « aussitôt que le Roi

  1. Opuscules de messire Fabio Brulart de Sillery, évêque de Soissons. Bibliothèque nationale, manuscrit français 12 986, p. 98.
  2. Le duc de Bourbon Louis III, fils de M. le prince Henri-Jules, petit-fils du grand Condé, frère de la duchesse du Maine et de la princesse de Conti, femme du héros de cette notice.