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dans la même litière ; mais je suis l’aîné, et le plus fort des deux. Si nous jouions Macbeth à Courtavenel ? Je demande à être l’ombre de Banquo, elle ne parle pas… »

Tourguéneff écrivit trois opérettes fantastiques, l’Ogre, Conte de fée, Trop de femmes, dont Mme Viardot composa la musique ; elles furent représentées à Bade, chez la cantatrice qui remplissait souvent un des rôles (les autres étaient tenus par ses élèves). Tourguéneff représenta quelquefois l’ogre, le sorcier ou le pacha. Elles eurent un succès de gaieté et d’esprit, devant un public cosmopolite, auquel se joignit à plusieurs reprises la famille royale de Prusse.

M. Adolphe Brisson, dans un de ses spirituels Portraits intimes, résume ainsi sa pensée sur Mme Viardot : « Tout ce qu’une créature humaine peut avoir en partage, elle l’a eu. Talens naturels, talens acquis ; un vif sentiment de l’art et des moyens d’expression ; l’enivrement des ovations publiques et le bonheur familial, des directeurs attentifs à lui plaire, un mari qui était l’intelligence et la bonté mêmes, de superbes enfans, des gendres exquis, des amis dévoués et d’illustres commensaux, des auteurs qui l’ont vénérée comme une idole, et qui lui doivent leur réputation. Elle a tenu sur ses genoux le petit Saint-Saëns, elle a découvert Charles Gounod. Le futur auteur de Faust errait, mélancolique, dans les coulisses de l’Opéra. Il supplia Mme Viardot d’entendre la mélodie que lui avait inspirée le Vallon de Lamartine. Elle pria Emile Augier d’écrire un livret pour le compositeur ignoré : et c’est ainsi que Sapho vit le jour… »

Voici un chanteur homme du monde, qui continue la tradition de Pierre Jélyotte, et non seulement homme du monde, mais lettré, bon observateur, gai, capable d’admirer sans réserve ses émules, ne détestant pas le whist, la bouillotte, adorant la chasse qui lui coûta son bras droit, et l’obligea de quitter l’Opéra pour se consacrer au professorat. Roger tint salon, donna des dîners, des fêtes brillantes. Son Carnet nous met en relations avec une foule de personnages intéressans, Duprez, Mario, Lablache, Auber, Meyerbeer, cette fameuse Jenny Lind qui ne vint jamais à Paris, Mme Viardot, etc. ; les tournées en Allemagne, en Angleterre, sont contées avec un vif sentiment du pittoresque et de la couleur locale.

Un bal chez Roger, le Bal des Poissardes, dans son hôtel de