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ans, en 1836, consumée par le feu intérieur d’une âme brûlante. Elle mourut à Londres en pleine puissance d’elle-même, en plein triomphe, des suites d’une chute de cheval, qu’elle avait cachée à son mari, tuée au milieu d’un concert, pendant une syncope, par un médecin ignare qui prit sur lui de la saigner, tandis que Bériot jouant, ne voyait point les gestes navrés de Lablache, n’entendait point ses appels étouffés par les accclamations des auditeurs. Lorsque enfin Lablache put entraîner au foyer son ami, celui-ci vit Malibran assise dans un fauteuil, les bras nus pendans, les yeux vitreux, les deux veines ouvertes : trente-six heures après, elle n’était plus.

Pauline Viardot, fille de Manuel Garcia, sœur cadette de Malibran, eut un brillant salon littéraire, où fréquentaient Mérimée, Th. Gautier, Sainte-Beuve, Paul de Saint-Victor, Flaubert, Taine, Jules Simon, Renan, Augier, Victor Hugo, Gounod, E. Vivier, Jules Janin, Maxime du Camp, E. About, les Goncourt, Gavarni, Scherer, Fromentin, Charles Blanc, Nefftzer, Broca, Berthelot, Francisque Sarcey, Zola, Alphonse Daudet, Maupassant, etc. Les Viardot recevaient aussi à la campagne les intimes, et, au premier rang, Ivan Tourguéneff qui appelait Courtavenel son berceau littéraire : il fut le dieu du salon, comme Vaudreuil chez Mme Vigée-Lebrun, le chancelier Pasquier chez Mme de Boigne, Chateaubriand chez Mme Récamier ; absent, il confiait aux Viardot sa fille Pauline. On sait que Tourguéneff passa une partie de sa vie en France ; mais, forcé parfois d’aller en Russie, un article publié sur la mort de Gogol, en 1852, lui valut un exil de deux ans dans sa propriété de Spasskoié. Mme Viardot, de son côté, faisait des tournées à l’étranger : les lettres du romancier peignent avec profondeur les regrets, impressions poétiques, succès et déboires, avec l’espoir de reprendre la douce vie de Courtavenel et les longs entretiens. Voici quelques lignes à propos du rôle de lady Macbeth chanté par son amie : « Je suis curieux de savoir comment lady Macbeth vous a réussi. C’est un beau rôle, grand, simple (malgré la ruse de la dame), profond, et pourtant difficile, presque dangereux. Mais, comme dit Lear dans la tragédie de Shakspeare (vous souvenez-vous de la lecture de cette tragédie à Courtavenel, sous un acacia en fleurs, et puis dans le coupé de la diligence avec Laure endormie, vous souvenez-vous ? ) le danger et moi, nous sommes deux lions nés le même jour et