Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/400

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Malibran, vêtue de noir, à l’hospice des Enfans, rue de Sèvres ; lin petit malade refusant d’entrer dans un bain qui devait lui sauver la vie, pour le décider elle chanta à croire que Dieu même écoutait. L’enfant demeurant insensible, elle offrit de se mettre au bain avec lui ; cette fois il consentit, elle se mit au bain et tendit les bras au malade qui cinq minutes après s’endormait doucement sur son épaule. Lorsque Malibran quitta l’hospice, elle vit Pontmartin qui guettait sa sortie, le reconnut, et dit gaiement : « Jeune homme, retenez bien ceci ; il est plus difficile d’embrasser une rivale, que de faire une bonne œuvre. »


… Connaissais-tu si peu l’ingratitude humaine ?
Quel rêve as-tu donc fait de te tuer pour eux ?
Quelques bouquets de fleurs te rendaient-ils si vaine,
Pour venir nous verser de vrais pleurs sur la scène,
Lorsque tant d’histrions et d’artistes fameux,
Couronnés mille fois, n’en ont pas dans les yeux ?…

Que ne détournais-tu la tête pour sourire,
Comme on en use ici quand on feint d’être ému ?
Hélas ! on t’aimait tant, qu’on n’en aurait rien vu.
Quand tu chantais le Saule, au lieu de ce délire,
Que ne t’occupais-tu de bien porter la lyre ?
La Pasta fait ainsi : que ne l’imitais-tu ?

Ne savais-tu donc pas, comédienne imprudente,
Que ces cris insensés qui te sortaient du cœur,
De ta joue amaigrie augmentaient la pâleur ?
Ne savais-tu donc pas, que, sur ta tempe ardente,
Ta main de jour en jour se posait plus tremblante,
Et que c’est tenter Dieu que d’aimer la douleur ?…


Mme Récamier lut ces stances immortelles de Musset devant Chateaubriand, à l’Abbaye-aux-Bois : elles furent admirées. Je ne crois pas qu’aucune cantatrice ou comédienne ait inspiré pareille poésie ; elle seule suffirait à la gloire de Malibran, elle rayonne son éclat sur ses émules dans le présent et dans le passé, fait partie en quelque sorte du patrimoine de génie et d’honneur que chacun augmente par son effort, où il puise dans les heures de lutte et d’angoisse. Musset a lancé un cri d’enthousiasme qui traversera les siècles, et longtemps, bien longtemps peut-être, on oubliera qu’il a romancé la vie et la mort de son héroïne. Personne n’ignore que, par son second mariage, elle était devenue Mme Bériot ; chacun répète qu’elle s’éteignit à vingt-huit