Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/398

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’adorables élans, des gaietés radieuses ; une voix puissante, naturellement dure et rebelle, qu’elle domptait à force de volonté et d’étude ; — pleurant de vraies larmes au théâtre, mais « ne s’épuisant pas plus à se répandre, qu’un foyer de lumière à rayonner, et vivant de ce qu’elle dépensait.. » « Ma fatigue du théâtre, écrit-elle en 1834, c’est pour moi un sorbet ; ma voix est stentoresque, mon corps falstaffique, mon appétit cannibalien. » Elle n’était pas pour rien la fille du terrible Garcia.

E. Legouvé, qui fut l’ami et l’historiographe de Malibran, raconte que Lamartine lui fit compliment de son aptitude pour les langues (elle en parlait quatre avec une égale facilité) : « Oui, dit-elle, c’est très commode, je puis ainsi habiller mes idées à ma façon. Quand un mot ne me vient pas dans une langue, je le prends dans une autre ; j’emprunte une manche à l’anglais, une collerette à l’allemand, un corsage à l’espagnol… — Ce qui fait, madame, un charmant habit d’Arlequin. — Soit, répliqua-t-elle vivement, mais il n’y a jamais de masque. » Un autre lui vantait un poète, aussi pauvre d’idées que riche de forme : « Ne me parlez pas de ce talent-là, dit-elle ; il fait un bain de vapeur avec une goutte d’eau. » Souvent elle coupait court aux éloges avec un peu d’impatience, surtout quand on la célébrait aux dépens de quelque grande artiste. Elle ne pouvait sentir Mme Sontag et l’admirait infiniment. « Oh ! si j’avais sa voix, soupirait-elle. — Sa voix ! sa voix ! reprit quelqu’un, oui sans doute, elle a une jolie voix, mais pas d’âme ! — Pas d’âme ! s’écrie la Malibran, dites : pas de chagrin ! Elle a été trop heureuse. Voilà son malheur. J’ai une supériorité sur elle, c’est d’avoir souffert. Mais qu’il lui vienne un véritable sujet de larmes, et vous verrez quels accens sortiront de cette voix que vous traitez dédaigneusement de jolie. » Un an plus tard, la Sontag, après un grand malheur, aborde le rôle de donna Anna, est acclamée : « Je vous l’avais bien dit ! » rayonne Malibran. N’est-ce pas charmant ?

Comme les autres théâtres, l’Opéra est un champ clos où se poursuivent, tantôt sourdement, tantôt au grand jour, rivalités, haines et rancunes. Rosine Stolz y régna pendant quelques années, comme amie très intime de son directeur, et l’on mena grand bruit à propos d’un bal donné par Duprez, où la favorite ne fut pas invitée. Un tel affront ne pouvant rester sans vengeance, le directeur de l’Opéra donna un autre bal tout exprès