Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/397

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Meyerbeer, Rossini, Spontini, Liszt, Donizetti, Auber, Adam, tenaient à honneur de composer quelques couplets pour son album. Méry affirme qu’elle avait dans l’esprit le charme de ses pieds divins, qu’elle dansait en causant. En tout cas, elle sut parfumer de grâce, de modestie apparente ses caprices, elle, fantasque entre toutes, si bien que, public, adorateurs, ne lui tinrent point rigueur. On lui fit de telles ovations à l’Opéra, que la reine Marie-Amélie ne put un jour s’empêcher d’observer. : « Vous voyez que la reine de l’Opéra est mieux accueillie que la reine des Français elle-même. »

Quelqu’un a dit que les Françaises et les étrangères ont une conception très différente de la musique : « A l’Opéra, la Française ouvre les yeux, et va entendre la musique pour ses épaules ; l’Allemande ouvre les oreilles, et y va pour son plaisir ; l’Italienne ouvre son cœur, et y va pour son sigisbée ; l’Anglaise ouvre la bouche, et y va pour son argent. » Comme toutes les boutades, comme toutes les maximes du monde, celle-ci a sa part de vérité et de paradoxe, car elle méconnaît, dans son absolutisme, la grande loi des contrastes et des divergences dans les esprits. En vérité, beaucoup de femmes venaient au Théâtre-Italien pour entendre Desdemona-Malibran, la flamboyante artiste qui ressuscitait Shakspeare à travers Rossini ; cela se passait à la fin de la Restauration et sous la Monarchie de Juillet, au temps où, comme le disait le duc de Brissac à Marie-Antoinette, Malibran comptait cent mille amoureux, où des étudians déjeunaient pendant un mois d’une flûte d’un sou pour réunir les trois francs soixante centimes que coûtait alors le parterre, et aller applaudir leur idole dans Sémiramide, la Gazza Ladra, Tancrède, Otello. On a dit la beauté irrégulière, ou, si l’on veut, la demi-laideur transfigurée de Malibran sitôt qu’elle chantait, sa magnétique attirance, — ses yeux « qui avaient une atmosphère » et semblaient absorber toute la passion humaine, dramatique, pour la renvoyer, multipliée, aux auditeurs, — son indomptable ténacité, ses coups de tête, plus nombreux que ses rares coups de cœur. Nature généreuse, prime-sautière, vaillante jusqu’à la témérité, avec la hantise du danger, le charme de l’imprévu ; aucune coquetterie, point de jalousie, une exubérance d’âme qui ne lui permettait pas de jouer ou de chanter deux fois de la même manière, des phases de silence et de mélancolie, de fulgurantes improvisations,