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marquise de Mondragone, et dès le premier regard, il lui avait été conquis. La belle-mère Bonaventuri, elle-même, favorisait les rencontres et toute une conspiration s’ourdissait autour de la jeune femme pour la jeter aux bras du jeune prince. On lui avait persuadé que, seul, il pouvait sauver son mari : elle le crut et le perdit.

Francesco s’intéressa donc à Bianca Cappello. Il s’y intéressa même trop, bien au-delà de ce qu’exigeait sa sécurité à elle et jusqu’aux dépens de sa sécurité à lui. Il traversait toute la ville, seul, la nuit, pour l’aller voir, et cela, malgré les conseils paternels du duc Cosme, qui n’avait point besoin de rien risquer de semblable, ayant pour sa part installé sa maîtresse, une certaine Camilla Martelli, dans sa propre villa ducale, auprès de lui. La passion du prince pour Bianca s’alimentait de sa présence et s’exaspérait encore plus de son absence. Quand il s’absentait, quand il allait chercher en Autriche une archiduchesse, laide, austère et dédaigneuse, pour en faire sa femme, il ne songeait qu’à Bianca Cappello et lui écrivait nombre de vers qui ne sont pas plus mauvais que les autres vers galans de cette époque. Enfin revenu dans ses États, marié à l’Autrichienne et installé, comme une sorte de régent, dans le Palais Vieux qu’on venait de rajeunir pour la jeune archiduchesse, il prit le mari, Pietro Bonaventuri, à la cour, en lui confiant la charge de la garde-robe, et donna au ménage un palais situé Via Maggio sur la rive gauche de l’Arno, palais qu’on voit encore et qui porte encore le nom de Bianca Cappello. C’est de cette époque, à peu près, que date le portrait du Bronzino, au palais Pitti. La figure est encore fine, plutôt triste et, si on la compare à celle peinte par le Titien lorsque Bianca n’avait que vingt ans, plus longue et presque pensive. Elle est au zénith de sa beauté qu’on devine souple et svelte encore et au point décisif de sa vie, romanesque en deçà, historique au-delà.

Mais serait-elle historique ? Pour qu’elle entrât dans l’histoire, il fallait que son mari en sortît. Il était un obstacle éventuel et, en aucun cas, une sauvegarde. Le prestige de cette femme mariée se réduisait à peu de chose, car la fidélité de l’un n’était pas assez grande pour compenser tout ce qui manquait à la fidélité de l’autre. Parvenu aux honneurs, l’ancien commis avait découvert à tous les yeux sa bassesse d’âme. Il est même un point qui n’a pas été touché par les historiens :