Ce que nous savons prête à toutes les hypothèses. Pendant l’hiver de 1563-1564, le prince Francesco de Médicis, le fils aîné de Cosme Ier et d’Éléonore de Tolède, trouvait dans le courrier de l’agent secret de Florence à Venise, un certain Cosimo Bartoli, une nouvelle très romanesque. Une jeune fille de grande famille, Bianca Cappello, âgée d’à peu près seize ans et de merveilleuse beauté, venait de s’enfuir, dans la nuit du 28 au 29 novembre, avec un petit commis de banque. Ils étaient allés du côté de la terre ferme, et on ne savait ce qu’ils étaient devenus. Le ravisseur était Florentin, et c’est pourquoi l’agent Bartoli en entretenait longuement son maître. La banque où travaillait ce jeune homme, un certain Pietro Bonaventuri, se trouvait non loin du palais où vivait la belle patricienne, à Santo Apollinare, al ponte storto. Les deux jeunes gens s’étaient vus, avaient trouvé le moyen de correspondre, de se rencontrer, s’étaient fiancés secrètement et, craignant de se voir découverts, avaient soudoyé des gondoliers pour fuir. Le scandale était grand. La famille de la jeune fille, les Cappelli alliés aux Morosini et aux Grimani, était des plus considérables, et la famille du ravisseur était fort peu de chose. On découvrit les gondoliers qui avaient aidé à la fuite : ils furent arrêtés avec leurs femmes, mis à la torture et en moururent promptement. L’oncle Bonaventuri, lui-même, fut torturé et mourut aux fers pour n’avoir pas su garder son neveu. On lança la police aux trousses des fugitifs et on mit leur tête à prix, très solennellement, du haut du Rialto. Cola ne servait d’ailleurs à rien, et tout le monde se demandait où Pietro Bonaventuri avait bien pu aller avec sa proie.
Il était tout bonnement allé chez lui, à Florence, où son père, notaire et greffier du commerce, della Mercanzia, possédait une petite maison, place San Marco (la place de Savonarole), une étroite demeure à deux fenêtres de façade, qu’on voit encore, plus ou moins transformée, en face de l’église. C’est un tableau qu’on n’a pas fait et qui n’est pas seulement un sujet psychologique, mais un sujet pittoresque, quelque chose comme le Last of England de Madox Brown, que la fuite de ces deux proscrits, sur les eaux mortes, vers Fusina, enlacés et frissonnans, tandis que les premières lueurs du jour, se levant derrière leurs têtes, éclairent faiblement les rives plates et les maigres arbustes de la terra ferma où ils vont aborder. Nul n’eût pu dire alors, et les