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été tué par Garzia dans une dispute de chasseurs, et Garzia tué par son propre père pour venger Giovanni.

Les deux autres garçons, Francesco et Ferdinando, l’un âgé de treize ans, l’autre de cinq, régneront sur Florence, mais ce dernier grâce à la mort subite et mystérieuse de son aîné ; l’autre aura la joie d’épouser et de mettre sur le trône de Toscane la femme qu’il aimera, mais non sans qu’un assassinat l’ait rendue veuve, ni qu’un accident l’ait rendu veuf, le tout avec une opportunité singulière. Enfin, l’enfant qui dort dans ce berceau, Pietro, tuera sa femme… S’il est vrai que les événemens tragiques projettent leur ombre longtemps d’avance devant eux, quelles ombres devaient s’allonger, ces soirs-là, qui n’étaient pas toutes jetées par les cyprès, sur les terrasses des jardins Boboli !

L’infinie tristesse de notre portrait s’explique. Femme d’un assassin avéré, mère d’un fils assassin et d’une fille assassinée, — le fils meurtrier de sa femme, la fille étranglée par son mari, — et de quatre autres enfans morts prématurément sous ses yeux, de deux souverains enfin, chacun très suspect d’assassinat, Eléonore de Tolède porte, dans son regard, la douleur de ces choses qu’elle ne sait pas, qu’elle ne peut pas prévoir, mais qu’elle reflète, déjà, comme le miroir qui nous annonce ce qui vient derrière nous sur la route, ce qui approche, ce qui nous menace, et qui, lui, ne sait rien.

Restent les perles. C’était le bijou le plus ordinaire des femmes de cette époque et les portraits d’apparat en contiennent toujours ; mais le préjugé, qui veut que ce soit un signe de larmes, est singulièrement enhardi quand on les voit abonder dans certains portraits, tels que celui d’Henriette d’Angleterre ou d’Eléonore de Tolède. Il y a, dans ce rocher qu’on nomme le Palais Vieux, au premier étage, près de la salle dite des Cinq Cents, une sorte d’alvéole creusé par le duc Cosme pour y cacher ses trésors : on l’appelle le Tesoretto. C’est un cachot voûté, noir, parcimonieusement éclairé par une seule lucarne sur l’étroite via Ninna, mais décoré et paré comme une bonbonnière. Un cabinet noir le précède, secret lui aussi, voûté, de la forme d’un coffret. Vasari a peuplé ce cabinet des plus riantes figures. Quand on fait jouer l’électricité, on voit paraître, aux deux extrémités, dans deux lunettes qui se font face, Cosme et Eléonore, les deux fantômes du Palais Vieux.