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jeune souverain avait été son obligé, du temps où il vivait pauvre et solitaire, au Trebbio, avec sa mère Maria Salviati. Parmi les lettres que Tullia d’Aragon avait pu lire par-dessus l’épaule de Strozzi, il s’en trouvait une de Maria Salviati, lui disant : « Mon fils (Cosimo) et moi nous sommes à ce point appauvris et accablés non seulement par nos dettes privées, mais par celles dues au gouvernement, que notre situation est désespérée, à moins que quelqu’un nous aide jusqu’à ce que nous trouvions le temps de reprendre haleine. Donc, nous supplions votre générosité, si nos autres créanciers nous accablent, que vous ayez d’autant plus pitié de nous… J’implore et je supplie Votre Excellence et, de tout mon cœur, je vous demande de ne pas nous refuser cette faveur. Cosimo et moi nous nous recommandons à votre magnificence. — Votre cousine et sœur — MARIA SALVIATI DE’ MEDICI. » — Le dilettante crut-il qu’après sept ans, le service rendu pèserait encore de quelque poids ? Ou bien, vit-il enfin clair, et comprit-il quel visage sinistre cachait le masque de l’orphelin timide ? Toujours est-il que, le matin du 18 décembre 1538, il fut trouvé mort dans sa prison.

La fin tragique de ce galant homme nous touche plus, après trois siècles et demi écoulés, qu’elle ne touchait, seulement huit ans plus tard, la belle Tullia, lorsqu’elle vint dans les États du duc Cosme. Ce qui préoccupait cette pseudo-femme de lettres, c’était de trouver un protecteur qui la défendît de sa gloire. En arrivant à Florence, elle demanda ce qu’il y avait de mieux comme intellectuel. On lui dit que c’était Benedetto Varchi. Elle décida donc qu’il serait son amant. Elle ne l’avait, d’ailleurs, jamais vu et ne devait pas, de longtemps, savoir comme il était fait. Il vivait rembuché dans sa villa de Careggi, à la suite d’imaginations fâcheuses et peut-être imméritées qu’on s’était faites de ses manières d’aimer. Cela lui avait valu des démêlés avec les Huit de la Balia, quelques jours de Bargello, une forte caution et la charge d’écrire l’apologie des Médicis depuis 1527 jusqu’à 1546, ce qui serait considéré aujourd’hui par un historien sincère comme une sorte de hard labour. Tout cela n’empêchait pas Varchi d’être fort admiré de l’Italie entière, où ses accusateurs n’avaient rencontré que réprobation, et d’être prophète dans son pays même où les Florentins s’attroupaient pour le voir passer.