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Sanctifié par ses palinodies,
Il prétendait avec componction
Qu’il avait fait jadis des comédies
Dont à la Vierge il demandait pardon.
Gresset se trompe : il n’est pas si coupable.
Un vers heureux et d’un tour agréable
Ne suffit pas…


Mais ici déjà la plaisanterie passe un peu les bornes : Voltaire n’avait nul droit de soupçonner publiquement la sincérité de la conversion de Gresset ; la satire glisse de la critique dans l’attaque personnelle. Que devrions-nous dire si nous avions reproduit les prétendus portraits de Lefranc de Pompignan ou de Fréron ? et si nous ajoutions, comme il convient, que toutes ces plaisanteries ou ces calomnies, Voltaire les jetait aux quatre vents de l’opinion sans y mettre jamais son nom, pour se réserver la liberté de les désavouer au gré de ses intérêts ou de sa sûreté ? Mais il faut bien faire observer que ce n’est pas seulement la modération qu’il perd dans la satire, c’est la politesse, l’éducation, la tenue même. Le mondain y devient grossier, le courtisan y parle le langage des halles. On en a déjà vu la remarque à l’occasion de sa Pucelle et de ses épigrammes. Sous les habits de ville et de cour, sous le velours et sous la soie dont il aime à se parer, quelque état qu’il fasse du luxe et de l’urbanité, quelque plaisir qu’il prenne à jouer au grand seigneur, il y a dans Voltaire un cynique que nous allons voir bientôt s’en dégager. Ce ne sera pas toutefois avant qu’il ait achevé de consolider sa fortune, financière, littéraire, politique aussi s’il se peut : parmi la diversité de ses occupations et les agitations infinies qu’il se donne, c’est le triple dessein que nous allons le voir successivement poursuivre à Cirey, Versailles, Paris et Berlin.


FERDINAND BRUNETIERE.