été bons. Qui répondra cependant qu’encore aujourd’hui même nous n’admirerions pas les Odes de Lebrun, si nous ne connaissions celles de Victor Hugo ? les élégies de Millevoye ou de Parny, si Musset n’avait chanté des Nuits ? Il n’est pas d’ailleurs malaisé de voir ce que les contemporains de Voltaire ont admiré dans ses poèmes philosophiques, et eux-mêmes nous l’ont dit. Pour la première fois la philosophie et la science, et une science toute récente, y parlaient le langage des vers. De grands et difficiles problèmes, celui de la liberté, de l’origine du mal, de la nature de Dieu, y étaient touchés, il est vrai, plutôt que traités, mais avec aisance, esprit et netteté. Les argumens de l’école y étaient resserrés en formules heureuses, comme un demi-siècle auparavant, dans les vers de Boileau, les leçons de la morale courante ou de la vie commune. Et il n’y avait pas enfin jusqu’au système du monde, jusqu’aux lois de Kepler et de Newton qui n’y participassent de la clarté naturelle et de l’agrément de l’intelligence de Voltaire. Dans le Poème sur la loi naturelle ou dans les Discours sur l’homme, les Français applaudissaient ce que les Anglais avaient applaudi dans l’Essai sur l’homme de ce Pope que Voltaire ne se cachait pas d’avoir imité. Et en effet tous les deux ils avaient agrandi ou étendu pour leurs successeurs le domaine de la poésie, en essayant de rendre habile à l’expression des idées un art qui jusque-là n’avait uniquement servi qu’à celle des sentimens ou des passions. De telle sorte qu’ici son rôle a été le même qu’au théâtre, si ce n’est qu’ayant eu le tort de venir après Corneille et Racine, il eut celui de venir avant Lamartine et Vigny. Bien des drames ont suivi Zaïre qui n’ont pu la faire complètement oublier, mais il n’est pas au contraire un poète philosophe à qui nous ne devions de plus vives émotions qu’à celui du Poème sur le désastre de Lisbonne.
C’est qu’indépendamment des qualités qui font le poète, il manquait encore à Voltaire celles qui font l’artiste, et l’on s’en aperçoit surtout dans ses Epîtres, aussi bien dans l’Épître à Boileau que dans l’Épître à Mme du Châtelet sur la Philosophie de Newton. Voltaire manque en vers d’émotion et d’haleine, il y manque de force et de précision, il y manque surtout de scrupules. Boileau, qu’il essaye de copier, dans ses Épures, n’est certes pas un poète, lui non plus, mais quel honnête homme de versificateur ! quel savant ou même quel grand écrivain ! Eh