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remplissent la moitié de sa Correspondance, ont rempli la moitié de sa vie. Et je n’oserais pas dire que, pour être cru le rival de Racine, il eût renoncé à défendre Calas ou Sirven, mais sans doute il était plus fier d’avoir écrit Mérope ou Sémiramis que cette « coïonnerie de Candide. » Voyez-le remanier, refaire et récrire ses pièces tandis qu’on les répète, son Eriphyle ou sa Zaïre, les reprendre, quand elles ont réussi, pour y faire droit à toutes les critiques, les récrire, les refaire, les remanier encore, et, quand elles sont tombées, comme son Adélaïde, y revenir du milieu de ses occupations, et la refondre, en trois actes, en cinq actes, sous des noms différens : le Duc de Foix, le Duc d’Alençon, Alamire. Ou bien encore, dans sa vie si longtemps errante, quelque part qu’il se pose, à Cirey, à Berlin, aux Délices, à Ferney, voyez-le tout d’abord installer ses tréteaux, recruter une troupe de ses gens, de ses voisins, de ses visiteurs, leur apprendre à se tenir, à marcher ou à parler en scène, lui-même, à soixante ans, y jouer son personnage, Lusignan dans sa Zaïre, ou Zopire dans son Mahomet. « Et nota bene, écrit-il à l’ami Thiériot, que j’arrache l’âme au quatrième acte. » Dans sa Rome sauvée, s’il n’arrachait pas l’âme, il éblouissait du moins les yeux, quand il y déclamait, plus paré qu’une châsse, avec trois mille écus de diamans sur sa toge, les discours de son Cicéron :


Romains, j’aime la gloire et ne veux point m’en taire,
Des travaux des humains c’est le digne salaire…


Si le théâtre a été pour Voltaire un instrument ou un moyen, une chaire ou une tribune, il a été d’abord et surtout un but, et ce qu’il a aimé dans le théâtre, c’est assurément le murmure approbateur des loges ou les applaudissemens plus bruyans du parterre, mais, avant tout et par-dessus tout, ç’a été le théâtre même.

Aussi bien, ne refuse-t-on pas de lui reconnaître quelques-unes au moins des qualités de l’auteur dramatique ; on lui reproche seulement de n’en avoir pas su le véritable usage. Imitateur docile ou superstitieux de ses illustres prédécesseurs, il se serait, dit-on, traîné sur leurs traces, et professant, selon son expression, « que les sujets ont des bornes bien plus resserrées qu’on ne pense, » que les grandes passions et les grands sentimens ne « sauraient se varier à l’infini d’une manière neuve