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effectivement, nous sommes obligés d’avouer qu’il y manquerait encore celles qui font vivre les œuvres. La lecture en est insoutenable au plus voltairien d’entre nous ; il s’y endort presque aussi vite qu’aux Incas de Marmontel ou qu’à la Pétréide de Thomas. Et nous n’y saurions enfin reconnaître, avec les meilleures intentions d’y découvrir autre chose, qu’un monument, s’il faut que c’en soit un, de l’habileté, de l’ingéniosité, de la rhétorique et de l’esprit même de Voltaire, — et de son impuissance poétique.


II

On en a dit autant de son théâtre ; mais il faut rappeler que c’était dans le temps où, si l’on ne voyait dans l’auteur de Zaïre qu’un drôle, on ne voyait aussi qu’un polisson dans celui de Phèdre ou d’Athalie. Nous avons de Voltaire une cinquantaine de pièces : tragédies, comédies, opéras ou drames lyriques. Les opéras : Samson, le Temple de la Gloire, Pandore, la Princesse de Navarre, sont vides, ou à peu près, très inférieurs à ceux de Quinault. Ses comédies : Nanine, l’Enfant prodigue, le Dépositaire, — je ne dis rien ici de celles qui ne sont, comme l’Écossaise, que de pures satires, ou comme la Mort de Socrate, que des pamphlets dialogues, — ont un grand tort, le plus grand tort assurément que des comédies puissent avoir : elles ne sont point comiques. Mais, pour ses tragédies, s’il n’en est que bien peu de lisibles, et à peine aujourd’hui deux ou trois de jouables, il en est bien peu aussi, qui, contenant leur part de nouveauté, ne contiennent leur part d’intérêt historique ou même littéraire. Les contemporains l’ont senti, qui tous, amis ou adversaires, les ont tant admirées, trop enclins seulement à les mettre immédiatement au-dessous ou au-dessus de celles de Racine et de Corneille. Et si nous voulons être justes à notre tour, ce n’est pas à Diderot, à Beaumarchais ou à Mercier, comme nous faisons quand nous sommes très savans, c’est à Voltaire que nous ferons honneur de la plupart des innovations qui, de la tragédie classique, ont dégagé le drame romantique et moderne.

Qu’à défaut du nom de poète, il mérite en effet celui d’homme de théâtre et d’auteur dramatique, c’est ce que l’on ne saurait contester. Il a le goût du métier, ou plutôt il en a la passion chevillée dans le corps. Les affaires de théâtre, qui