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alphabet, comme il l’avait intitulé d’abord, et c’est encore au Dictionnaire qu’il a emprunté jusqu’au tour de son ironie coutumière : « On souhaitait qu’Augustin, la meilleure plume de l’Église, réfutât les Pélasgiens ; il n’y manqua point ; mais Alypius réfuta encore plus fortement cette hérésie, par les arrêts sévères qu’il obtint d’Honorius. » Qui ne croirait, s’il n’était prévenu, que ces trois lignes fussent de Voltaire ? Et je ne dis rien de tant d’autres articles dont la comparaison dans les deux Dictionnaires est aussi curieuse qu’instructive. Quand tout le monde sait ce qu’il y a de rapports entre la fiction de Micromégas et celle de Gulliver, ou même entre un seul chapitre de Zadig et une assez belle pièce de Parnell, comment ignore-t-on ce qu’il y a d’analogies entre Voltaire et Bayle ?

Car elles ne s’arrêtent point là, mais elles vont bien plus loin, et jusqu’à deux ou trois idées maîtresses, auxquelles si le nom de Voltaire demeure justement attaché, cependant c’est à Bayle qu’on en doit la première expression. Telle est d’abord l’idée de tolérance qu’avant même le célèbre Essai de Locke, Bayle, dans ses Pensées sur la comète, dans sa France toute catholique sous le règne de Louis le Grand, et surtout dans son Commentaire philosophique sur le COMPELLE INTRARE, avait si éloquemment défendue contre ce qu’il appelait les sophismes des « convertisseurs à contrainte. » Parmi beaucoup de plaisanteries, qui sont du genre de celles que Voltaire, lui aussi, se permettra dans ces matières, il soutenait dans ce dernier ouvrage et il démontrait que si la diversité des religions a jamais causé quelque mal en politique, c’était précisément, ou uniquement, à cause de l’intolérance. Et cette idée à son tour lui servait de préparation ou de transition à une autre, qui est que la religion « chasse tellement les idées naturelles de l’équité, qu’on devient incapable de discerner les bonnes actions d’avec les mauvaises, » ou encore, comme il s’exprime ailleurs, « qu’elle ne sert qu’à ruiner le peu de bon sens que nous avions reçu de la nature. » Si ce n’est pas là tout le voltairianisme, c’en est le commencement et le résumé ; et Voltaire en a pu dire autant, mais il n’en a dit ni pensé davantage. Ou plutôt, il s’est arrêté là, sans jamais vouloir dépasser le déisme, tandis que Bayle, plus hardi, poussait encore plus avant. Dans ses Pensées sur la comète, avec une tranquille audace, il prétendait établir en effet que, par une conséquence logique des prémisses qu’on vient de voir, l’athéisme