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de date ancienne et dont la causerie délicate était pour lui, m’a-t-il dit souvent, un régal. À Etretat, à Compiègne, en Savoie, il vint partager plus d’une fois le toit hospitalier de ce vieux camarade. Il s’y plaisait, on l’y sentait heureux ; mais il était repris promptement de la nostalgie de Paris, et, un beau jour, il s’envolait vers les rives de la Seine.

On peut se demander si cette passion qu’il avait pour Paris ne lui fut point, à certains égards, meurtrière, s’il n’est point parti avant l’heure pour avoir trop longtemps vécu d’une vie artificielle, trop exclusivement respiré l’air de la capitale, l’air de sa chambre de travail, la poussière des papiers d’archives et l’atmosphère surchauffée des salons…


IV

Notons ici une particularité, d’ailleurs moins rare que l’on ne pense. Ce citadin déterminé avait le sens, l’instinct, l’amour profond de la nature. Il tombait en extase devant la majesté paisible d’un vieil arbre, le ruban argenté d’une rivière fuyant sous les saules, ou le reflet mobile d’un nuage dans le cristal de l’eau. Il aimait le soleil, la lumière chaude d’un soir d’été, dorant la cime des hautes futaies ou miroitant sur la plaine frissonnante des blés, et il aimait aussi la discrète harmonie des paysages de demi-teinte, « les ondulations gracieuses des collines, les lointains noyés de verdure et les horizons veloutés[1]. » Son œil de myope, incertain, hésitant pour les objets très proches, était merveilleusement habile à embrasser l’ensemble d’un pays qu’il voyait pour la première fois, à en dégager les grandes lignes, à en saisir le caractère. Certains de ses écrits témoignent de ce don spécial. L’historien clairvoyant, dont le regard distingue si bien les ressorts mystérieux qui font agir les hommes et les rapports cachés qui lient les événemens entre eux, est, quand l’occasion s’en présente, un descriptif, un coloriste, un artiste qui sait bien voir et sait peindre ce qu’il a vu. Se souviendra-t-on d’avoir lu, dans cette Revue où je tente aujourd’hui de ressusciter son image, certain morceau sur La Fête-Dieu à Beaune, où ce talent s’affirme avec un remarquable éclat ? Voici comme il décrit la procession qui se déroule dans la cour du célèbre hospice :

  1. Discours de réception à l’Académie, passim.