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vocation. L’injustice des politiciens hâta sans doute le cours des choses, mais il se fût toujours évadé tôt ou tard des lisières administratives pour conquérir sa pleine indépendance, pour se donner tout entier, sans entraves, au métier d’historien. Quelques semaines avant sa fin, jetant, avec un vieil ami, un regard en arrière et repassant sa vie, il concluait qu’il n’avait pas à se plaindre de la fortune, qu’il avait à peu près atteint le but de ses désirs et de ses ambitions, qu’il avait, tout compte fait, rempli sa destinée.

Cette destinée, à l’heure où il disait l’adieu définitif aux carrières officielles, s’ouvrait à lui belle et souriante. Il avait un foyer : une femme, une fille, qui l’entouraient de la plus dévouée affection, avec lesquelles il fut toujours dans la plus tendre union de cœur. Il avait des amis, non pas de ces compagnons de rencontre qu’un hasard met sur notre route et avec qui, par habitude, nous poursuivons distraitement le voyage, mais des amis de choix, de ceux auxquels nous lie une parité de goûts, de sentimens, d’idées, dont la présence augmente la douceur des beaux jours, atténue la tristesse des heures de brume ou de tempête. C’étaient entre autres, à cette époque, Etienne Dubois de l’Estang, Adrien de Montebello, Amédée Danguillecourt, Francis et Gabriel Charmes, quelques anciens collègues aussi, Saint-Paul, Labiche, Ferdinand Roze. Plus d’un l’a devancé dans la solitude de la tombe ; les survivans s’unissent pour le pleurer et pour honorer sa mémoire ; tous lui sont demeurés fidèles.

Des amis dont je viens de citer les noms, certains faisaient partie de ce petit cénacle de jeunes gens distingués, modérés par tempérament, libéraux par instinct et républicains par raison, qui se groupaient autour de Léon Say, collaboraient au Journal des Débats ou fréquentaient dans ses bureaux, avaient foi aux vertus du parlementarisme et souhaitaient pour la France un gouvernement fort et doux, respectueux de toutes les croyances, accessible à tous les partis, groupant, sans distinction déclasses, ni d’origines, toutes les lumières, toutes les bonnes volontés. Vandal fut quelque temps séduit par ce rêve généreux. L’Empire, auquel il conservait un souvenir plein de gratitude, paraissait alors hors de cause ; du moins, la mort du noble prince tombé sous les lances des Zoulous ajournait toutes les espérances. La monarchie traditionnelle, ses yeux lucides la voyaient morte, pis