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puisque ses chefs, quand l’heure en fut venue, le proposèrent unanimement pour un avancement mérité. C’est alors qu’il fit l’expérience, suivant la spirituelle remarque de M. d’Haussonville, « d’une vérité qui, au premier abord, semble faite pour surprendre : c’est que l’hérédité est, par excellence, le principe de la République[1]. » Sur ceux qui se trouvaient en compétition avec lui, il avait l’avantage d’une plus grande ancienneté, d’un mérite reconnu ; aucun de ceux qui le voyaient à l’œuvre ne lui marchandait son estime ; mais il portait « un nom d’Empire, » c’était une tare irrémissible. Trois fois, par ses supérieurs hiérarchiques, ce nom fut inscrit sur la liste pour l’emploi de maître des requêtes, trois fois il fut rayé « par un garde des Sceaux vigilant. » C’était lui indiquer le chemin de la porte ; il la prit sans mot dire, sans la faire claquer derrière lui.

Il eut à ce moment quelque velléité de revenir à ses premiers desseins et désira d’entrer dans la diplomatie. Il y eut même, à ce propos, des pourparlers qui ne purent aboutir. Si cet échec lui causa du regret, j’estime qu’il en fut promptement consolé. Ses plus beaux dons, comme ses aspirations intimes, ne pouvaient manquer de l’amener à la littérature. Toujours il l’avait aimée de passion, et non d’un amour platonique ; l’idée qu’il pût ne pas écrire n’avait jamais traversé son cerveau. Dès l’entrée au Conseil d’Etat, il avait rêvé d’employer ses loisirs d’auditeur à des œuvres de fantaisie, de broder, sur un fond de décors éclatans, les histoires merveilleuses écloses dans sa jeune imagination. Cette fois encore, ce fut son père qui le guida vers un autre chemin. L’ancien fonctionnaire impérial, très épris, très instruit des choses du passé, avait, dès l’enfance de son fils, constamment travaillé, par ses récits, par les lectures auxquelles il l’engageait, à développer en lui le goût et la connaissance de l’histoire ; il jugea le moment venu d’insister vivement en ce sens. C’est à ses conseils que l’on doit la remarquable étude sur Louis XV et Elisabeth de Russie, qui vit le jour en 1882, cinq ans avant que son auteur eût quitté le Conseil d’Etat. Nous retrouverons prochainement cet ouvrage ; ce que je veux en retenir ici, c’est qu’il marque une date décisive dans l’existence d’Albert Vandal, c’est que, dès cet instant, il connut sa vraie

  1. Réponse du comte d’Haussonville au discours de réception d’Albert Vandal à l’Académie française.