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sacerdoce en franchissant un glacier. Il parcourt gravement les pays les plus divers et admire de confiance, lorsque le guide qu’il tient à la main lui dit de s’extasier. Dans ce manuel du tourisme, il trouve des enthousiasmes tout faits, des interjections étiquetées, des exclamations appropriées à chaque point de vue. Les paysages y sont classés avec méthode et divisés en trois catégories : grand, wild, pretty. Point d’aspect qui ne soit ramené à l’une de ces divisions. Mais le touriste, même Anglais, n’est pas exempt d’erreur, et nous avons vu l’un d’eux s’écrier en face de la cataracte de Leerfossen, se précipitant entre deux rochers dans un abîme sans fond : How pretty ! Comme c’est coquet ! L’infortuné s’était trompé de page. » Je note enfin comme une curiosité qu’en ce premier essai se trouve déjà la célèbre expression de « révolutionnaires nantis, » qui fit fortune, trente ans plus tard, dans l’Avènement de Bonaparte.

Ainsi Vandal est tout entier en germe dans cette œuvre de sa jeunesse, avec ses dons de goût, de grâce, de finesse et de force. Et il y fait paraître aussi cette réserve discrète qui l’empêchera toujours de parler de soi-même. Presque jamais le je, presque toujours le nous, en associant son compagnon aux épisodes qu’il nous raconte. Point de confidences personnelles ; il répugne à se mettre en scène. Pourvu de tant d’attrayantes qualités, on conçoit que ce petit livre, où, « sans pastiche ni pédanterie, » on peut goûter, dit un critique, avec « l’écriture colorée d’un Taine ou d’un Flaubert, la verve humoristique d’un président de Brosses, » ait éveillé, à son apparition, l’attention des lettrés. Il bénéficia par la suite de l’illustration de l’auteur et de la vogue de ses autres ouvrages. Au temps où il fut publié, il suscitait des espérances fondées, et aujourd’hui encore il mérite d’être lu.


II

Si brillant que fût ce succès, il ne semble pas que Vandal ait songé, dès cette heure, à s’adonner exclusivement à la littérature. Ses antécédens de famille, l’influence de son entourage, tout se réunissait pour le pousser vers une profession plus active, vers un emploi public. Il eût volontiers essayé de la diplomatie, où l’eussent servi ses connaissances d’histoire, ses facultés d’observation, son tact, la courtoisie de ses manières, l’élégance