Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/250

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voyage en Suède et en Norvège ; c’est le voyage qu’il racontera dans le livre charmant dont je parlerai tout à l’heure. Mais cette promesse, la guerre d’abord, puis des études de droit, puis les obligations du service militaire, en retardèrent successivement la réalisation. Arrêtons-nous auparavant sur Vandal dragon à Compiègne, soldat discipliné, mais cavalier médiocre, et spécialement mal doué pour les exercices gymnastiques. De ses insuccès en ce genre, il prit une revanche éclatante un jour d’inspection générale. Le grand chef, avant la voltige, voulut poser quelques questions aux volontaires d’un an notés pour obtenir un grade ; quand il vint au dragon Vandal, il le pria de dire ce qu’il savait sur Marengo ; il resta stupéfait de ce qu’il entendit : emplacement de chaque corps, tant français qu’autrichien, récit exact, clair, coloré des différentes phases de l’affaire, aucun détail ne fut omis par ce soldat de deuxième classe. Le général, confondu et ravi, ne put moins faire que d’accorder à ce surprenant cavalier la faveur qu’il souhaitait le plus : il le dispensa de voltige. Mais, malgré cet adoucissement, Albert Vandal conserva toute sa vie, de son passage à l’escadron, une horreur de l’équitation, qui s’étendait, dans une certaine mesure, aux professionnels de ce sport. « Vous détestez donc les chevaux ? lui demandait-on un jour. — Pas les chevaux, répliqua-t-il en riant, mais ceux qui leur tiennent compagnie. »


Le voyage en Scandinavie, si longtemps ajourné, eut enfin lieu dans le cours de l’été 1875, avec un charmant compagnon, qui demeura celui de toute son existence, Adrien de Montebello. A la veille du départ, un ami de son père rencontra le jeune voyageur : « J’espère bien, lui dit-il, que vous écrirez au retour vos impressions de touriste, et pas seulement pour votre famille. » Il eut un geste de défense : « Ecrire, moi, à mon âge ! Mais non, mais non[1] ! » Il écrivit pourtant, et même il publia, et ce fut le petit volume qui porte le nom d’En karriole, — karriole avec un k, pour la couleur locale. Vandal n’avait pas encore vingt-trois ans ; le livre a tout le charme et la fraîcheur de la jeunesse. Alerte, gai, pimpant, varié de ton, il résout le problème d’un récit de voyage amusant pour ceux mêmes qui ne voyagent jamais, et l’on y rencontre déjà ce goût de la

  1. Souvenirs sur Vandal, par M. Gaston Jollivet, dans le Gaulois du 4 septembre 1910.