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que des intérêts professionnels, une entente finale aurait pu se produire. Mais c’était sans doute ce que les révolutionnaires ne voulaient pas. Sentant leurs troupes leur échapper, au moins pour un temps, ils ont résolu de brusquer le mouvement et la grève a eu lieu.

Dès lors, quelle devait être l’attitude du gouvernement ? Il y avait un précédent, celui de la grève des postiers. Lorsqu’elle s’est produite, le gouvernement l’a aussitôt déclarée illégale et a refusé toute conversation avec les grévistes jusqu’à ce qu’elle fût terminée. Il fallait agir de même avec les cheminots, mais le gouvernement était peut-être gêné par des déclarations faites imprudemment à la tribune et qui, contrairement à celle des postiers, affirmaient d’avance la légalité de la grève des cheminots, sous prétexte que les premiers sont des fonctionnaires et les seconds des ouvriers. La thèse peut se soutenir, si on discute avec subtilité sur le caractère de ceux-ci et de ceux-là ; mais si on se place au point de vue des grands intérêts du pays, une grève des chemins de fer n’y apporte pas une moindre perturbation qu’une grève des postes : au nom de ces intérêts, l’une doit être interdite comme l’autre. On ne saurait admettre que les ouvriers et les employés des chemins de fer puissent se mettre en grève, et il est fâcheux, quand on a eu le tort de le faire, d’être obligé de recourir à un expédient empirique comme la mobilisation pour combattre les effets naturels de sa faiblesse. Quoi qu’il en soit, le gouvernement s’est trouvé en présence d’un fait, la grève, et le Comité de ladite grève lui a adressé une lettre insolente pour lui demander quelles étaient ses intentions : la réponse n’étant pas venue assez vite, une nouvelle lettre, plus impérieuse encore que la première, est venue marquer l’impatience du Comité. Il y a eu un moment d’hésitation chez le gouvernement : il a fait savoir par une note officieuse qu’il était prêt à reprendre son rôle d’intermédiaire entre les syndicats et les Compagnies. C’était faire abstraction de la grève ou reconnaître sa légitimité : on ne pouvait négocier que lorsqu’elle serait terminée. Si le gouvernement avait persisté dans cette attitude, tout aurait été compromis : heureusement il n’a pas tardé à la rectifier. Les démarches faites auprès de lui par les députés de Paris et par un groupe parlementaire qui s’intitule longuement « Groupe de défense des intérêts corporatifs des employés et ouvriers des chemins de fer » lui en ont fourni l’occasion.

Les députés de Paris, ou du moins plusieurs d’entre eux, ont jugé à propos d’envoyer une délégation à M. le président du Conseil « pour lui demander s’il avait l’intention de faciliter la reprise des