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sont tous, est une comédie des plus agréables, qui a obtenu à la fin de cet été et conserve au courant de cet automne un très joli succès dû à un ensemble de qualités fort goûtées du public, — et qui en outre contient tout au moins les indications d’une étude intéressante, originale et même hardie.

Entre Ginette Ménars, jeune fille de bourgeoisie cossue apparentée au monde officiel, et le comte Robert de Latour-Guyon, capitaine de cuirassiers, une marieuse professionnelle, dont la République a fait une préfète, bâcle un mariage d’autant plus facile à « réussir » que Ginette est éperdument éprise du beau capitaine, et que le capitaine est réellement amoureux de la charmante Ginette. Latour-Guyon a mené jusqu’ici joyeuse vie : de très bonne foi, il liquide son passé, une demi-douzaine de liaisons sans conséquence et une beaucoup plus sérieuse avec une femme du monde : la Baronne. On célèbre le mariage. Dix-huit mois se passent. Ginette est la plus heureuse des femmes ; Robert n’a pas la plus petite frasque à se reprocher. C’est en toute sincérité qu’il a pris la résolution d’être fidèle à sa femme. Cependant la Baronne, qui avait disparu, revient, ramenée par la préfète, dont on se demande si elle est plutôt imprudente, ou plutôt complaisante, et dont la maladresse en l’occurrence est si énorme qu’on est tenté de la croire voulue. Cela va tout gâter : il ne faut pas tenter le pécheur. Ginette, mise en défiance par certains propos, renseignée par des tas de mensonges où s’embrouille son mari, découvre la trahison de celui-ci. Désespoir. Colère. Elle veut divorcer. Mais une pièce qui finit par un divorce est une pièce qui finit mal. Une pièce qui finit bien doit finir par une réconciliation. Donc le ménage se raccommode. Et nous sommes libres de croire que les morceaux en seront bons. — Tout cela est très acceptable, très plausible, ne soulève aucune objection, ne bouscule aucune des opinions reçues au théâtre, ne casse pas les vitres et n’y prétend pas, et aurait plutôt le défaut de manquer un peu d’imprévu.

Seulement, dans cette analyse, j’ai négligé un trait essentiel. En constatant que la vie de Ginette a failli être brisée, j’ai omis, — volontairement, — de mentionner l’influence qui a travaillé et presque réussi à amener ce désastre. J’ai laissé de côté, — intentionnellement, — un rôle auquel il ne manque que d’avoir été plus développé et mieux mis en valeur, celui de Laure Ménars, la sœur de Ginette. Ce personnage exprime, vaille que vaille, cette puissance de malfaisance qui réside en certains êtres, méchans ou non, peu importe, mais néfastes certainement et dont la seule excuse, s’ils en ont une, réside