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caractère dans l’action même. Aide de camp de son père à quatorze ans, lieutenant de cavalerie à seize, capitaine à dix-huit, placé à vingt-deux ans à la tête d’un régiment, il avait contrôlé par une expérience précoce ses idées et son rêve. « Quelle distance de lui à presque tous les jeunes gens de son état, s’écriait d’Alembert en lisant quelques pages de ce jeune homme qu’il ne connaissait point. L’auteur mérite que tous les honnêtes gens l’aiment, l’estiment et s’intéressent à lui. »

Or, cette maturité surprenante qui arrachait à un esprit aussi critique que d’Alembert un cri d’admiration, ne devait être que la préface d’une des vies les plus complètes qu’il ait été donné à un homme de vivre. Ce Français qui était « né à la veille de la guerre de Sept ans et qui mourut au lendemain de la Révolution de Juillet, » allait être appelé par le destin à faire successivement figure de « colonel et de diplomate sous l’ancien régime, d’ambassadeur extraordinaire sous la Révolution, de conseiller d’Etat sous le Consulat, de sénateur et grand maître de cérémonies sous l’Empire, de pair de France sous la Restauration, et, entre temps, de voyageur, de poète, d’historien, de dramaturge, et de membre de l’Académie. » Il allait vivre « dans l’intimité familière de Louis XV, de Louis XVI, de Marie-Antoinette, de Washington, du grand Frédéric, de Catherine II, de Napoléon, sans compter tous les satellites gravitant autour de ces astres[1]. » Nul, certes, ne fut jamais mieux placé pour juger l’histoire et les hommes qui la font.

Tel était l’avis de ses amis les plus intimes : Lafayette, Boissy d’Anglas, Lameth, Daru, Barbé-Marbois, Viennet, Arnault, Benjamin Constant, Casimir Perier, le général Mathieu Dumas, lorsque, sur la fin de sa vie, ils lui persuadèrent de rédiger et de compléter les notes qu’il avait prises quotidiennement sur les événemens auxquels il avait été mêlé, et sur les hommes qu’il avait vus de près. Ce fut à cette heure de la réflexion mûrie que le comte de Ségur donna sur les Etats-Unis sa pensée définitive ; ces lignes semblent clore avec une nuance d’attendrissement les réflexions du jeune voyageur qui, au printemps de sa vie, avant d’avoir connu les souffrances dit l’injustice et de la désillusion, s’était senti irrésistiblement

  1. Le marquis de Ségur, Esquisses et récifs.