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papiers du Connecticut que Washington doit arriver ce soir pour conférer avec vous. Je vois que c’est le service public. Vous aurez votre voiture prête à six heures du matin. » Il tint parole et nous partîmes à l’heure indiquée. »

La confiance dans le succès final et la volonté d’y contribuer dans la mesure individuelle de son effort, étaient aussi vives chez le plus humble des soldats que chez le chef suprême. A- un moment où tout manquait, le général américain Putnam ordonna à un prisonnier anglais : « Retourne vers ton chef. S’il te demande combien j’ai de troupes, réponds-lui que j’en ai assez ; que, quand il parviendrait à les battre, il m’en resterait encore assez ; qu’il finira par éprouver que j’en ai trop pour lui et pour les tyrans qu’il sert. » En apprenant comment la milice avait essuyé le premier feu à Bunker Hill, Washington s’écria : « Les libertés du pays sont en sécurité. »

Plus bref encore et plus sûr de l’avenir, Franklin écrivit le même jour à un ami anglais : « Les Américains vont se battre. L’Angleterre a perdu ses colonies à tout jamais. » Sollicité par le Parlement anglais, qui lui proposait une grosse somme s’il voulait refuser le commandement que les insurgés lui offraient, le général américain Reed répondit : « Je ne vaux pas qu’on m’achète, mais tel que je suis, le roi des îles Britanniques n’est pas assez riche pour m’avoir. » Jusqu’à la fin de la campagne, ce fut en faisant appel au sentiment que les officiers américains soutinrent le moral de leurs hommes. Après les graves défaites de Brandywine où Lafayette fut blessé, le général Stark, avec une vieille couverture de lit sur le dos, passait la revue de soldats sans solde et sans pain. Le général avait pour sa femme, « la belle Molly, » une tendresse dont l’ardeur était connue de ses soldats. Au moment de l’engagement, il se plaça devant sa troupe et déclara : « Voici les Anglais. Si vous ne les avez pas vaincus ce soir, Molly Stark sera veuve. » Et le soir on était victorieux.

Quelque chose de cette simplicité avait gagné le cœur des Français. La lettre que Lafayette écrivit à M. de Maurepas le lendemain de la victoire de Yorktown est, si l’on peut dire, très « américaine. » « Du camp de Yorktown, le 20 octobre 1781. La pièce est jouée, monsieur le comte, et le cinquième acte vient de finir. J’ai été un peu à la gène pendant les premiers. Mon cœur jouit vivement du dernier et je n’ai pas moins de plaisir à