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patrie, en conservant un grand respect pour les propriétés[1]. »

Ce que M. de Rochambeau ne dit pas, c’est que, parmi les treize Etats qui formaient alors en Amérique les possessions anglaises, six seulement avaient été fondés par les Anglais. Il y avait deux établissemens hollandais, deux français, un suédois. Lord Baltimore et William Penn avaient agi à titre privé et, s’il est vrai qu’une douleur commune est entre les hommes un lien plus fort qu’aucune joie, tous ces Américains avaient passé par la même épreuve : par la persécution religieuse. C’était elle qui les avait chassés de leurs pays respectifs, vers une terre neuve. Elle agissait sur eux comme un stimulant de la loi. Elle leur inspirait une passion pour la liberté, qu’ils suçaient autant dire avec le lait. Les histoires populaires des Etats-Unis, que l’on met encore à cette heure entre les mains des écoliers, rapportent non sans fierté cette anecdote qui se place aux environs de l’année 1770, c’est-à-dire cinq ou six ans avant la rupture avec l’Angleterre. Pendant l’hiver, les soldats anglais de la garnison de Boston s’étaient amusés à détruire les glissades que les enfans de l’école avaient construites pour leur divertissement particulier. Ces petits garçons allèrent trouver le général anglais pour lui manifester leur mécontentement : « C’est ainsi, s’écrie-t-il après les avoir écoutés, que vos pères vous enseignent la révolte ? Ils vous envoient jusqu’ici pour m’obligera la toucher du doigt ! — Personne, répondirent les enfans, ne nous a envoyés à vous ; jamais nous n’avons injurié vos troupes. Mais vos soldats ont démoli nos glissades. Nous nous sommes plaints à eux : ils nous ont appelés « jeunes rebelles. » Nous nous sommes adressés aux capitaines : ils ont ri, et de nouveau la nuit dernière, on a gâché notre travail. Nous ne tolérerons pas plus longtemps ces mauvais procédés. » Le général ne doutait pas que ces menaces ne fussent suivies d’effet. Il donna l’ordre à ses soldats de réparer les glissades. Il dit : « Comment voulez-vous arracher à ce peuple la notion de la liberté ! Depuis sa naissance il l’a dans les moelles. » Ces dispositions premières n’ont pas varié. Certes, les Américains d’aujourd’hui connaissent tout

  1. Le même ailleurs : « Le colon dans son habitation n’est ni un seigneur de château, ni un fermier : c’est un propriétaire dans toute l’étendue du mot. » Et Lafayette : « Il n’y a en Amérique ni pauvres, ni même ce qu’on appelle paysans. Tous les citoyens ont un bien honnête et tous les mêmes droits que le plus puissant propriétaire du pays. »