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d’une taille convenable et blanche et de très bonnes manières, quoiqu’elle ne soit pas si agréable que nos filles, mais elle est d’une grande modestie et facile à former promptement à nos us et coutumes. Elle n’est pas blonde, car il n’y a pas de blondes ici, mais ses cheveux tirent sur le rouge et elle en a beaucoup. Son visage est un peu rond, mais il ne me déplaît pas. Son cou est agréablement long, mais me semble un peu frêle ou, pour mieux dire, mignon. Nous ne pouvions pas voir sa poitrine, parce que c’est la coutume ici de la cacher, mais elle semble bien faite. Elle ne porte pas la tête haute, comme nos filles, mais un peu inclinée, ce que j’attribue à ce qu’elle est timide. En elle, je ne vois aucun défaut, sinon son attitude embarrassée. Sa main est longue et fine, et, tout compte fait, nous jugeons la jeune fille bien au-dessus de la moyenne, quoiqu’elle ne puisse pas être comparée à notre Maria, notre Lucrezia, ou notre Bianca. Lorenzo l’a vue lui-même et combien il en est satisfait, tu pourras le lui entendre dire. Je jugerai que tout ce que, toi et lui, vous déciderez sera bien fait et je m’y rallierai. Que Dieu nous inspire le meilleur parti à prendre !… Ta Lucrezia. »

Lorsque cette fille « timide, » et qu’on devait aisément former aux us et coutumes des Médicis, fut dûment épousée en grande pompe, elle releva ce front baissé et fit apparaître le profil volontaire, arrogant et têtu que nous voyons sur la médaille de Bertoldo ; mais sa belle-mère, par un prodige de sagesse et de volonté, sut disparaître au second plan. De loin, effacée, elle continua de gouverner sa famille, mais comme elle avait su gouverner Florence, sans se montrer. Elle se dévoue à ses petits-enfans. Elle leur récite les Laudes qu’elle a composées jadis, durant les longues veillées de la via Larga ou de Cafaggiuolo, et l’Histoire sainte qu’elle a mise en vers.

Lorsque son fils Julien, sur qui elle a tant veillé, tombe frappé à mort dans le chœur de Sainte-Marie des Fleurs, le 26 avril 1478, elle ne se croit pas encore quitte envers lui : elle recherche l’enfant naturel qu’il a pu laisser et prend soin de cet enfant de l’amour, qui devait être le pape Clément VII. Comme, avec cela, elle éduque son petit-fils Giovanni, fils de Laurent, et qui deviendra plus tard Léon X, ce sont deux futurs papes qu’elle fait sauter sur ses genoux… La tragédie des Pazzi ne lui donne pas un moment de désespoir. Elle ne recule devant aucun devoir, sèche ses larmes, se remet à la tâche, reportant