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un fond de démocratie et d’émeutes, de même l’histoire sainte, à Florence, n’est que l’histoire de ces mêmes familles projetée sur le plan divin. La tournée de visites que fait Giovanna Tornabuoni, en grande toilette, se continue à la suite de sainte Elisabeth, vers la sainte Vierge. Laurent de Médicis (au Palais Riccardi), se promenant à cheval, est pris on ne sait comment dans le cortège des rois mages. Et Lorenzo Tornabuoni, étant venu à l’église, assiste, sans s’y intéresser le moins du monde, aux affronts qu’on fait à ce pauvre saint Joachim. Ces messieurs et ces dames sont entourés de saints, d’apôtres, de prophètes, qu’ils veulent bien recevoir dans leurs palais, comme des cliens célestes, mais on sent, à la forte caractérisation de leurs traits et à l’éclat de leurs costumes, que le vrai sujet du tableau, ce sont ceux qui le paient : ce sont les donateurs.

Or, ici, le donateur, c’est Giovanni Tornabuoni, c’est-à-dire le chef de la maison de banque des Médicis à Rome, le trésorier de Sixte IV, le financier artiste et lettré du XVe siècle. C’est lui qui a commandé la décoration du chœur de Santa Maria Novella à Ghirlandajo, et Ghirlandajo s’y est employé pendant quatre ans, de 1486 à 1490. Le vrai su jet de la fresque, c’est donc la famille des Tornabuoni. Ils prennent les meilleures places. On y trouve d’abord Giovanni Tornabuoni, puis sa femme (à droite et à gauche de la fenêtre), puis son fils Lorenzo Tornabuoni, puis la femme de son fils, la belle Giovanna. Il est naturel qu’on y trouve aussi sa sœur Lucrezia, mariée à Piero de Médicis ou Pierre le Goutteux. Et il est naturel qu’on la trouve en sainte Elisabeth, parce que cette femme pieuse et lettrée a voué son fils à saint Jean-Baptiste, patron de Florence, qu’elle a traduit la vie de ce saint en ottava rima.

Elle est vue ici, dans une des principales manifestations mondaines d’une Italienne au XVe siècle : l’accouchée recevant des visites, et si l’on regarde bien sa physionomie au moment où la servante lui apporte sa collation sur un plateau et où les visiteuses s’avancent en grande toilette, toutes chargées de complimens et de perles, on reconnaît bien la femme que nous peignent les lettres de Lucrezia de Médicis. Ce pourrait être une autre matrone : Alessandra Machingi, par exemple, ou Isabella Sacchetti Guicciardini, mais c’est assurément une matrone de ce temps. Et tout fait croire que nous sommes en présence de la plus notable, celle qu’on appelait : « la Reine de Florence. »