Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/186

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais nous savons que Botticelli n’a jamais peint qu’elle. Ses Vierges, ses Vénus, ses allégories, c’est elle. C’est elle, cette figure au menton pointu, aux pommettes saillantes, aux yeux agrandis par la fièvre, dont Taine a dit : « Elle nous promet l’infini et elle n’est pas sûre de vivre… » C’est elle, cette Vénus malade qu’on voit au milieu de la Primavera et qui s’enveloppe d’un manteau pour ne pas prendre froid, parmi les Grâces, vêtues de gazes et de cristal. Souvent les peintres sont des prophètes. Un portrait est un diagnostic. Combien de fois, durant les longues heures de pose, le portraitiste, en scrutant son modèle, n’a-t-il pas vu s’approcher ce que ni la famille, ni les amis ne soupçonnaient encore ! Combien de fois s’est-il dit tout bas, à mesure qu’il atteignait la ressemblance : « Elle est perdue ! »

En avril 1476, apparut à tous l’usure de cette nature ardente. Une fièvre intermittente se déclara. On soupçonna la phtisie. Les Vespucci, pris de peur, emmenèrent la malade à la grande purificatrice d’alors, à la mer. On l’installa à Piombino, en face de l’île d’Elbe, là où Julien de Médicis avait fait une cure et s’était guéri d’une blessure. Sa mère accourait de Gênes. Les deux Médicis, retenus par les affaires de l’État, l’un à Florence, l’autre à Pise, se faisaient expédier, jour par jour, des courriers pour suivre les phases de la maladie, ou les lueurs d’espoir. On a encore les lettres qu’ils recevaient, de Piero Vespucci, le beau-frère de Simonetta, et l’on y voit la place que la nymphe tenait dans la vie de tous. Le 18 avril 1476, il écrit : « Simonetta est presque dans le même état où vous l’avez laissée, mais il y a un peu d’amélioration. Nous attendons et maître Stefano et tout autre médecin avec diligence, et nous ferons aussi vite que possible… » Le 20 avril : « La maladie de Simonetta, par l’aide de Dieu et grâce à l’habileté de maître Stefano, s’est considérablement améliorée. Il y a moins de fièvre et moins de faiblesse, moins de difficulté à respirer, et elle mange et dort mieux. Selon les médecins, sa maladie sera de longue durée, et il n’y a que peu de remèdes, sinon les bons soins. Et voyant que ce progrès vous est dû, nous tous et sa mère, qui est à Piombino, nous vous envoyons, avec ferveur, nos remerciemens… » Six jours après : « Je vous ai écrit, il y a quelques jours, le mieux survenu dans l’état de Simonetta ; malheureusement, il n’a pas continué comme je l’attendais et comme nous le désirions. Ce soir, maître Stefano et maître Moyse ont eu ensemble une