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les indécis et les voisins en présence du fait accompli. On hâte l’exécution. On n’attend pas au lendemain. On descend aux torches. Les Huit assurent l’exécution de l’arrêt. Le billot est prêt dans la cour d’un des palais annexes au Palais Vieux, probablement à l’endroit où sont aujourd’hui les bureaux et les paperasses de la municipalité pour des distributions de secours. Bernardo del Nero passe le premier. Le dernier qui vient sous la hache est Lorenzo Tornabuoni. Au matin, tout est fini… Sur le livre des morts, à sa paroisse, Santa Maria Novella, on inscrit son nom suivi de la mention terrible qui revient si souvent en ce temps-là après la date du décès : cum sanguine… « Tout le peuple les plaignit, dit, dans son Journal, Luca Landucci, chacun fut stupéfait qu’une telle chose ait pu être faite et voulut à peine le croire. Ils les firent mourir dans la même nuit et ce ne fut pas sans larmes de ma part, que je vis passer à Tornaquinci, dans une bière, ce jeune Lorenzo, un instant après sa mort… »

Ainsi s’éteignirent, après un bref éclat, les deux apparitions que nous voyons par les jours clairs flotter encore dans l’escalier du Louvre, et que l’on voit tous les matins, à Florence, derrière l’autel de Santa Maria Novella : Lorenzo et Giovanna Tornabuoni. Sans les peintres et les modeleurs, leurs destinées nous seraient indifférentes, auraient passé enveloppées dans les plis de cette grande dissimulatrice qu’est l’histoire : quelques coups de pinceau sur un mur, la pression d’un doigt sur une cire, les dégagent et les profilent, jeunes et nets, sur le brouillard confus des foules. Par la grâce de l’art, les deux beaux enfans revivent et sont aimés. Leur culte ne cesse guère. Sans doute, on ne le voit pas souvent célébrer au Louvre. L’ombre qui baigne leurs images empêche les visiteurs mal avertis de s’y arrêter. Leur histoire y est mal connue.

Mais à Santa Maria Novella, c’est autre chose ! Il fait clair tous les matins dans le chœur de la vieille église dominicaine, derrière l’autel. En même temps que nous déchiffrons cette figure sur l’escalier du Louvre, aux bords de la Seine, nous pouvons être sûrs que là-bas, aux bords de l’Arno, d’autres la regardent et cherchent à en pénétrer le sens. Accotés dans les stalles, ou debout autour des lutrins, étages sur les marches de bois, guettant le jour favorable, — ils la voient s’avancer de profil, de profil gauche, toute droite dans sa robe aux plis