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représentée par Politien. Au lieu de kodaks braqués sur la sortie de l’Eglise, ce sont les yeux de Botticelli, de Verrocchio, de Ghirlandajo, de Niccolo Fiorentino, fixés sur ce profil qui passe… Le décor, ce sont les bas-reliefs de Giotto et les portes de bronze de Ghiberti. La foule, tassée entre Sainte-Marie des Fleurs, le Baptistère, le Campanile, la Tour des Adimari, le Bigallo, bat de ses flots des montagnes de chefs-d’œuvre. Un Guichardin et un Castellani escortent la mariée au palais des Tornabuoni. On danse le soir sur la place San Michèle Berteldi, — maintenant Piazza san Gaetano, — proche des palais Tornabuoni aujourd’hui entièrement disparus. De l’autre côté de la ville, tout le long du Borgo degli Albizzi, les torches brûlent passées aux grands anneaux de fer. Toute Florence est en fête. Jamais femme n’entra d’un pas plus léger dans la vie.

Puis les peintres et les modeleurs se mettent à l’œuvre. Ils se hâtent, comme s’ils se souvenaient qu’elle est d’une famille d’éphémères, où la pose ne dure pas, où le profil se perd bientôt dans l’ombre que rien n’éclaire. Botticelli se rend à la villa Tornabuoni, aujourd’hui villa Lemmi, où se sont retirés les deux jeunes époux durant les premiers temps de leur mariage ; il cause un peu mythologie avec Politien et peint sur les murs les fresques qui sont maintenant au Louvre. Niccolo Fiorentino modèle la médaille que nous voyons au Bargello. Ghirlandajo la peint deux fois au moins : la première fois, d’après nature, sur le panneau fameux longtemps appelé la Laure de Pétrarque, passé de la famille Tornabuoni à celle des Pandolfini, et aujourd’hui en possession de M. Pierpont-Morgan. La seconde fois, de souvenir, d’après le portrait précédent simplement reporté sur le mur et continué par une robe, dans la fresque de Santa Maria Novella, où elle figure à la suite de sainte Elisabeth (scène de la Visitation).

C’est, là, le plus fameux des portraits de Giovanna Tornabuoni, le plus connu même de ceux qui épellent son nom et ne savent rien de sa vie. Tous les visiteurs de l’église dominicaine ont remarqué cette belle dame, en toilette éclatante, jupe de satin rouge couverte d’un treillis d’or semé de boutons d’argent, robe en tissu d’or broché, qui s’avance de profil coupant, haute et droite, au milieu des modestes femmes de l’Evangile, soucieuse de ne rien déranger à l’économie de sa toilette, tenant son mouchoir à la main, comme une dame en visite