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régime qui mettrait complètement à la merci de l’État la vie matérielle des curés.

Mais dès maintenant l’application des lois de Mai, par une curieuse répercussion, rendait inévitable, en Prusse, l’établissement du mariage civil. Tous ces prêtres, que l’Etat se refusait à considérer comme curés légitimes, et qu’il punissait même pour oser faire fonction de curés, bénissaient les mariages de leurs ouailles. Autant de mariages nuls aux regards de l’Etat. Ainsi se faisait sentir, du haut en bas de la population, l’effet des lois de Mai : mariés par le prêtre auquel l’Etat défendait d’agir en curé, les couples catholiques n’étaient, au point de vue civil, que des concubinaires. « Ce sont là des mesures plus nuisibles qu’utiles, » déclarait Keyserling, et il rappelait qu’en Russie une politique toute pareille n’avait pas entravé dans leurs progrès les sectateurs du Raskol. Bon gré mal gré, pour sortir d’embarras, il fallait que l’Etat prussien revînt à cette idée du mariage civil, qui répugnait à Guillaume, qui répugnait à Bismarck ; et cela devenait urgent, puisque le nombre des mariages invalidés devait aller croissant avec le nombre des prêtres délinquans. « Il me faut le mariage civil, déclara Falk, dès le mois d’octobre ; il me faut, même, le mariage civil obligatoire. » Roon était trop conservateur, en son for intérieur, pour goûter cette solution ; mais Falk montrait l’impasse dans laquelle l’Etat s’acculait ridiculement. Une loi sur le mariage civil apparaissait comme l’issue nécessaire. « Je la signe, si Bismarck la signe, » expliqua Roon. Signature légalement superflue, puisque Bismarck n’était plus membre du Cabinet prussien. Mais on fit savoir au chancelier que, s’il ne signait pas, Roon, Camphausen et Falk s’en iraient. Alors il signa, et l’on obséda l’Empereur pour qu’à son tour il consentît au plus vite. L’entourage impérial était rebelle, mais Falk redisait : « Il y a là une question vitale, je veux cette loi ou je m’en vais. »

L’opinion s’agitait, pour ou contre Falk, et puis, subitement, s’occupa d’autre chose : on apprit que, pour l’instant, un autre ministre s’en allait, c’était le président même du ministère, c’était Roon en personne, que fatiguaient ses soixante et onze ans, et que la quotidienne bagarre entre les procureurs et les consciences commençait peut-être d’écœurer. Après les premiers enthousiasmes de la lutte, il avait éprouvé des doutes de plus en plus pénibles sur l’efficacité de la politique religieuse à laquelle