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John Cade : « C’est le pape incarné, » murmura Bismarck. Andrassy mit quelque temps à comprendre, et constata que décidément Bismarck pensait toujours au Pape, qu’il y pensait trop, que cette frénésie même l’exposait sans doute à un échec. Et puis se ravisant, Andrassy se demandait si, dans ce flot de paroles, il n’y avait pas quelque mimique, et si le chancelier ne travaillait pas à l’apeurer pour accélérer en Autriche l’explosion d’un Kulturkampf. Andrassy n’était pas disposé à se presser, mais l’amitié publique entre le vainqueur et le vaincu de Sadowa frappait les esprits en Europe, à l’heure où l’Eglise à laquelle appartenait François-Joseph avait succédé à la France et à l’Autriche comme point de mire des hostilités prussiennes.


VII

Ce fut sous la triple impression du duel épistolaire entre Pie IX et Guillaume, des nouvelles menaces brandies par Falk, et du voyage impérial à Vienne, que, le 4 novembre, la population prussienne vota. Bismarck avait tout machiné pour que la lutte électorale d’où le nouveau Landtag devait sortir eût la portée d’un combat singulier entre le Pape et l’Empereur, entre Rome et la patrie ; de bons Allemands permettraient-ils que l’Empereur fût vaincu, et la patrie humiliée ? Battre un député du Centre, cela s’appelait reconquérir un district à la patrie. La nation allemande, que Bismarck incarnait en lui, devait traiter les hommes du Centre en ennemis extérieurs et parler de leurs fiefs électoraux comme de territoires perdus.

Le résultat fut pour Bismarck un chagrin. Des cinquante-deux arrondissemens prussiens qui avaient donné au Centre leur confiance, deux seulement la lui retirèrent en laissant succomber les députés sortans ; et trente-sept nouveaux arrondissemens furent conquis par cette entreprenante fraction. Elle rentrait au Landtag avec 89 membres ; elle retrouvait en face d’elle un parti national-libéral grossi de 50 membres. On cherchait les conservateurs ; à peine en voyait-on les épaves. A leurs dépens s’étaient fortifiées la majorité nationale-libérale franchement favorable au Kulturkampf, et la minorité, franchement hostile.

Le fait capital, c’était la fidélité croissante des suffrages catholiques aux intérêts de Dieu, tels que les définissait