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Bismarck considérait l’Europe comme une grande famille dont il était le chef. Il en avait corrigé certains membres, l’Autriche, la France ; il maîtrisait les autres, d’une main prête à s’abattre ; l’Italie était tour à tour gâtée et tancée II attendait de cette vaste famille qu’elle s’armât contre le pape du jour et qu’elle fît élire un meilleur pape le lendemain.

En ces mois de printemps où s’était achevée la discussion des lois de Mai, le théologien protestant Gelzer était venu aux écoutes, à Rome, pour étudier la question du conclave, et Bismarck avait même songé dès le mois d’avril, — le fait résulte d’une dépêche de Gontaut-Biron, — à pourvoir de nouveau l’ambassade d’Allemagne auprès du Saint-Siège en y installant Schloezer, ministre à Washington. Ainsi Schloezer, dont dix ans plus tard il se servira pour faire la paix religieuse, lui avait semblé dès 1873 qualifié pour jouer un rôle à Rome. Le rôle qu’il fallait jouer, et que, durant un fugitif instant, Bismarck rêva de lui confier, c’était la préparation du conclave futur. Bismarck ne pensait à rien de moins, qu’à faire remanier, avec le concours de l’Europe, les règles mêmes de l’élection papale. Arnim, dès la fin d’avril 1873, expliquait à Rémusat qu’une élection consommée par un Sacré Collège fort réduit en nombre, mesquin et obscur, ne répondrait pas aux nécessités présentes. Il faudrait donc, continuait l’ambassadeur, que l’Eglise entière, c’est-à-dire un concile ou une délégation de tous les épiscopats, se chargeassent de mettre la souveraineté pontificale en harmonie avec la société moderne. Les moyens de transmettre cette souveraineté étaient insuffisans, une réorganisation s’imposait. Les puissances de l’Europe pourraient, en cas de mort de Pie IX, signifier au Sacré Collège qu’il eût à suspendre ses séances jusqu’à ce qu’un grand concile fût réuni. C’est hors d’Italie que ce concile devrait se réunir, et gracieusement Arnim laissait entendre à Rémusat qu’on pourrait le tenir en France.

Ainsi le chancelier, dont Arnim était ici l’organe, ne songeait plus seulement, en 1873, comme dans la dépêche du 15 mai 1872, à faire apprécier par les puissances la légalité et la régularité de la future élection papale, mais à promouvoir, de concert avec elles toutes, une réforme de l’Eglise.

L’heure où il déclarait la guerre aux évêques était celle où son regard inquiet s’attachait le plus obstinément au centre même de l’Eglise, pour chercher les moyens d’y régner. Aussi