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d’une chose, » qui jamais, plus et mieux que Voltaire, a mérité cette louange de l’universalité ? « Je doute s’il y a un Voltaire dans le monde, lui écrivait un jour le prince royal de Prusse, qui fut depuis le grand Frédéric, et j’ai fait un système pour nier son existence. Non, assurément, ce n’est pas un seul homme qui fait le travail prodigieux que l’on attribue à M. de Voltaire. Il y a à Cirey une académie composée de l’élite de l’univers : il y a des philosophes qui traduisent Newton, il y a des poètes héroïques, il y a des Corneille, il y a des Catulle, il y a des Thucydide, et l’ouvrage de cette Académie se publie sous le nom de Voltaire, comme l’action de toute une armée s’attribue au chef qui la commande. » Lorsque l’on dit de Voltaire qu’il fut médiocre dans tous les genres, je crois que l’on se trompe, et, en tout cas, on exagère ; mais eût-on raison, il resterait encore qu’il a passionnément aimé tout ce qu’il a tenté tour à tour, non seulement aimé, mais compris, et c’est le signe de l’étendue, de la souplesse, de la variété, je voudrais pouvoir dire de la sensibilité de l’intelligence. Tout ce qu’il y a d’intelligible au monde, Voltaire l’a compris, et sa faculté de comprendra ne s’est en quelque sorte arrêtée qu’au seuil de l’inexplicable, — d’ailleurs bien Français en cela, trop Français, si l’on veut, et surtout trop Parisien. Enfin, grâce à cette faculté de tout comprendre, aidée du pouvoir de tout exprimer, et intérieurement animée de l’ambition d’arriver à tout, il s’est trouvé l’interprète naturel, ou encore, ainsi qu’on l’a dit, l’incarnation de tout un siècle ; et ce siècle, assurément, ce n’est pas le plus grand de l’histoire, — car les hommes y furent trop petits, — mais nul autre cependant n’a plus fait pour la cause de la justice et de la vérité. Nous avons donc accoutumé, nous continuons toujours, et avec raison, de glorifier en la personne de Voltaire « l’action de toute une armée, » puisque aussi bien c’est lui, l’auteur d’Œdipe et de la Henriade, le confident de Frédéric II et de Catherine, le défenseur des Calas, le patriarche de Ferney, que cette armée reconnut, applaudit, acclama comme chef, et que ce n’est pas seulement avec lui, mais par lui qu’elle vainquit. Et si la victoire ne fut pas sans mélange, c’est-à-dire, pour la remporter, si Voltaire et les siens recoururent souvent à des moyens que l’on ne saurait trop condamner, si même les mobiles qui les guidèrent ne furent pas tous ni toujours honorables, s’il y en eut de laids, de honteux et de bas, si beaucoup de choses, par conséquent, périrent sous leurs coups, qui méritaient d’être conservées, on a trouvé généralement la victoire assez belle et d’un assez grand prix pour n’en vouloir pas rendre un seul des avantages, — et cela peut suffire à la gloire d’un homme. L’histoire et l’opinion ne se sont jamais armées de toute leur morale que contre ceux qui n’ont pas réussi.

Ajouterons-nous maintenant d’autres causes ? Dirons-nous qu’ayant