Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 60.djvu/127

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

trouveront de l’énergie pour lutter contre Bismarck ? Ni Friedberg, qui avait élaboré les lois de Mai, ni Sybel, qui les applaudissait, ni Bismarck, exalté par l’habitude de vaincre, ni les bureaucrates de Berlin, soucieux uniquement d’obéir et d’être ensuite obéis, n’avaient prévu quel drame allait se jouer, et comment les lois se heurteraient à la conscience collective de l’épiscopat, et comment l’effort même qu’on ferait pour l’asservir le pousserait à prendre son élan vers Rome, et à chercher là-bas, près d’une cime intangible, un refuge et un appui pour les droits légitimes de la société religieuse, menacée dans son indépendance, menacée dans son intégrité. « Le secret de notre vigueur, proclamera bientôt Mallinckrodt, le secret inintelligible au monde, c’est que notre épiscopat, sans se laisser fourvoyer par les promesses, effrayer par les menaces, suit la voie que le maître de l’Eglise lui a marquée. »

Ces évêques qui, sous la pression de lois hostiles, resserraient ainsi leurs liens avec le Saint-Siège, se rappelaient peut-être les pronostics lugubres que de Rome même, en 1870, l’ambassadeur Arnim avait adressés à l’un d’entre eux. Arnim avait annoncé que la définition de l’infaillibilité donnerait lieu à des difficultés politiques et qu’une, persécution naîtrait. Voilà que sonnait l’heure fatale où sur l’Eglise de Prusse allait se déchaîner un souffle de ravage, et Roon en personne semblait confirmer la prophétie d’Arnim lorsqu’il disait en laissant deviner ce menaçant lendemain : « C’est la faute de l’infaillibilisme. »

Presque tous les évêques de Prusse avaient fait partie de la minorité conciliaire ; presque tous, pour éviter d’articuler : Non placet, avaient quitté Rome sans attendre le vote final. La définition dogmatique qu’exploitaient désormais contre l’Eglise certaines susceptibilités politiques, affectées ou sincères, était devenue l’objet de leur foi, mais n’avait pas été leur œuvre. Ainsi, parmi les causes des prochains orages, il en était au moins une dont on ne pouvait les rendre pleinement responsables. Mais l’épiscopat universel avait parlé ; ils en étaient membres et s’en considéraient comme solidaires ; ils tenaient à partager, sans restriction, la responsabilité qu’avait assumée l’Eglise enseignante. Sans jamais alléguer comme une excuse personnelle cette attitude d’opposans qui dans l’assemblée œcuménique avait été la leur, sans même se demander un seul instant si les crises de 1873 justifiaient leurs alarmes de 1870, ils allaient porter