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concevoir qu’un même artiste possède, comme on dit, plus d’une corde à son arc : or, M. Albert Besnard en a bien davantage. C’est l’esprit le plus souple et le plus ondoyant qui soit. Voilà trente ans qu’il nous éblouit, nous charme et nous amuse par l’éclat de sa fantaisie, la virtuosité incomparable de sa verve, la prodigalité de ses étincelantes féeries. Il se dégage de ses peintures une volupté délicate, on ne sait quel souriant esprit, comme une vapeur universelle et une flamme de plaisir. Qui ne connaît la Femme qui se chauffe, le Portrait de théâtre ? Mais encore n’est-ce là qu’une partie du talent de M. Besnard. Le véritable but de l’artiste est ailleurs. Ses spirituels caprices, ses portraits subtils, ambigus, éclairés de tous les côtés, noyés de miroitemens, de jeux de prisme et de faux jours ; ses bains de jeunes filles, ses cascades, ses mers multicolores, ses poneys nerveux, frémissans, toute cette œuvre qu’on a revue, voilà quatre ou cinq ans, à la galerie de la rue de Sèze, ces pages diaprées, fleuries, caracolantes ne sont que les préludes ou les délassemens, les vacances ou les « marges » d’une œuvre de décorateur.

Celle-ci, au contraire, est bien l’œuvre essentielle. C’est là que l’artiste a émis les idées, posé les questions, résolu les problèmes qui ont préoccupé sa vie. C’est là qu’il a voulu dire de grandes choses, des choses neuves, et s’exprimer en maître. Dans trois ou quatre ouvrages qui ont, chose rare aujourd’hui, le caractère d’ensembles, il a cherché à renouveler le vocabulaire décoratif. Ces ouvrages, par malheur, un peu perdus pour le public dans des locaux peu « parisiens, » dans des salles de mairies, d’écoles, d’hôpitaux, n’ont pas toute la célébrité qu’ils méritent. On ne se doute guère qu’il y a là l’effort le plus curieux de notre temps. Mais les choses aujourd’hui se trouvent un peu changées. L’auteur est désormais illustre. Il vient de « découvrir » sa coupole du Petit Palais et d’achever le plafond de la Comédie-Française. Ce n’est pas un mystère qu’il s’offre, après ces grands travaux, l’entracte d’un voyage aux Indes, où il va réchauffer sa palette au soleil de Vishnou et de Çunacépa. C’est le moment de jeter un regard en arrière sur ces trente ans de fécond labeur. Le Musée des Arts décoratifs nous offrait récemment les élémens de cette revue : les études et les esquisses, les dessins, les cartons dont s’est servi l’artiste, tout ce qui témoigne de ses recherches et permet de suivre les