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M. Thiers s’est expliqué lui-même dans ses Notes et Souvenirs. Voici ses propres déclarations qu’il est utile de reproduire, puisqu’on semble ou les ignorer ou n’en pas tenir compte : « Souvent, on était venu nous proposer d’échanger le fameux Blanqui, légalement détenu dans les prisons de l’Etat, contre quelques-uns des otages, si nous voulions les sauver d’une mort certaine. Cette proposition et cette menace étaient si monstrueuses que je ne pouvais ni accepter l’une, ni croire à l’exécution de l’autre. Un jour cependant, parmi les lettres adressées au gouvernement, il s’en trouva une que Mgr Darboy avait écrite, dans le trouble des plus cruelles angoisses, pour me supplier de consentir à l’échange proposé. Je fus profondément ému, ébranlé par cette lettre. Le Conseil des ministres, auquel je la communiquai, ému comme moi, demeura cependant impassible, « car, disait-il, outre le scandale que soulèverait ce marché, l’admission d’un semblable précédent créerait un danger des plus graves. Si l’on entrait dans cette voie, les forcenés de la Commune porteraient la main sur tout ce qui était resté de plus honorable dans Paris pour en faire l’échange contre les pires malfaiteurs. » Je crus devoir, en cette pénible occurrence, recourir à la Commission des Quinze qui avait été, comme on le sait, instituée par l’Assemblée pour assister, au besoin, le gouvernement dans les affaires de l’insurrection, et je lui demandai son avis, après lui avoir fait un exposé complet de la situation, et lui avoir lu la lettre de l’archevêque de Paris, ainsi que celle des autres infortunés tombés dans les mains des plus implacables sectaires. La Commission fut douloureusement affectée de la lecture de ces lettres, surtout de celle de Mgr Darboy. Néanmoins, à l’unanimité, elle déclara qu’il était impossible d’accepter le marché proposé, et ses raisons furent les mêmes qui avaient déjà décidé le Conseil tout entier. Cette double unanimité mit fin à mon hésitation, mais non à mon anxiété. Je me flattais encore de l’espoir que les geôliers des malheureux otages reculeraient devant l’exécution d’un si grand forfait, ou que, peut-être, nous arriverions assez tôt pour le prévenir. En attendant, je rendis menaces pour menaces, et je déclarai que les têtes des bourreaux répondraient de celles de leurs victimes. On peut comprendre, lorsque de tels gages restaient en de telles mains, l’intérêt douloureux avec lequel j’assistais à la prolongation de cette lutte que je suivais jour par jour… » Et c’est