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Zurich, dans un concert dirigé par lui, quelques fragmens, dont le prélude, de Lohengrin : « L’impression que j’ai éprouvée a été extraordinairement saisissante ; il m’a fallu me faire violence pour y résister. » Puis il retombait dans le silence, dans le silence extérieur, et longtemps encore ses voix ne chantaient plus qu’en lui.

Mais ses lettres ne finissent pas de mendier pour lui.Le 8 octobre 1850 : « Encore un mot... tout à fait confidentiel ; à la fin de ce mois, je serai au bout de mon argent. » Puis, en terminant, cet autre mot, destiné, dirait-on, à faire passer, excuser au moins le précédent : « Adieu, excellent ami. Envoie-moi tes partitions. » Cinq mois après (mars 1851) : « Je ne crains pas de t’adresser encore une prière, une seule… Vois du moins s’il te serait possible de me procurer très prochainement quelque argent, juste ce qu’il faudrait pour me tirer d’un embarras momentané… C’est une chose bien triste d’avoir à t’importuner de vilaines prières comme celles-là. — Mais en voilà assez sur ce chapitre. » — Tout de suite après : « Fasse le ciel que tu sois bientôt délivré de tes chagrins domestiques ! Je souhaite du fond du cœur une prompte et heureuse guérison à Mme  la Princesse. » Rien de plus, et sur cet autre chapitre, celui des soucis que Liszt, de son côté, pouvait avoir alors, ce n’est peut-être pas tout à fait assez.

Dans l’ordre matériel même, il n’était pas de moyens, de démarches, où Liszt ne recourût pour obliger Wagner. Lui qui, dans une de ses lettres, écrivait : « J’ai horreur de me mêler des affaires des autres, » il a fait siennes, plus que siennes, toutes les affaires de son ami ; toutes, à force de ténacité comme de prudence, il les a conduites à bonne fin. Représentations, traités avec les directeurs de théâtre ou les éditeurs, indications, recommandations, engagemens d’artistes, Liszt, tant que dura l’exil de Wagner, a tout assumé, tout assuré. Cet exil même, il en a su, diplomate avisé non moins que fidèle économe, préparer, peut-être hâter le terme.

Sa patience est admirable et je ne sais d’égale à sa générosité que sa délicatesse. Attentif non seulement aux besoins, mais aux goûts de l’enfant gâté qu’est aussi l’enfant terrible, il sait bien que pour celui-là le superflu n’est pas le moins nécessaire. « C’est aux frais de l’ami Liszt, écrit Wagner en 1853, que j’ai été voir l’année dernière les îles du lac Majeur. » À l’imagination, à la fantaisie de Wagner, il aurait fallu d’autres spectacles, des plaisirs plus raffinés. Je ne crois pas qu’un grand artiste, un des tout à fait grands, ait eu jamais, au même degré, besoin du luxe, de l’agrément extérieur et sensible. Ses goûts étaient somptueux comme son génie. « Il faut, disait-il encore, que je