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Il faut poursuivre ces recherches, et, en cela, chacun peut aider l’Association Valentin Haüy et les typhlophiles de suggestions utiles. Rien ne prouve que nous ne soyons pas un jour en mesure de demander à l’Etat de prendre quelques aveugles au nombre de ses employés. Peut-être dans certaines administrations, dans les téléphones, dans la fabrication des cigares, pourra-t-on leur faire des places. La question est capitale, et il est possible qu’on n’y ait pas encore complètement répondu. Plus nous aurons de débouchés, et plus nous pourrons arracher d’aveugles à la mendicité avouée ou déguisée, plus aussi s’allégera la charge de l’assistance. Il nous faut des débouchés nouveaux, d’abord pour ce que j’appellerai le déchet de la loi de séparation, c’est-à-dire pour ces sujets intelligens, actifs, qui, sans avoir beaucoup de dispositions pour la musique, parvenaient à vivre de la musique, qui ne le pourront désormais que plus difficilement, et qui ont trop d’initiative et d’activité personnelle pour s’accommoder de la vie d’atelier. A ceux-là le massage, l’enseignement des langues vivantes, peut-être la télé-phono-dactylographie offriront quelques places, mais ce n’est pas assez. Il en faut surtout pour la masse, pour les moyens, qui ne sont pas assez personnels pour se faire une place dans le monde, et qui doivent vivre enrégimentés dans les ateliers. Il est douteux qu’on puisse trouver pour eux un métier qui, sans majoration indirecte de salaires, leur donne des moyens suffisans d’existence. Peut-être est-il du moins possible de multiplier ces métiers qui, comme la sparterie, la matelasserie, la brosserie, apportent cependant au travailleur aveugle des salaires presque suffisans et lui conquièrent sa quasi-indépendance.

Mais le succès final de tant d’efforts dépendra de la bienveillance du public. Métiers nouveaux et métiers traditionnels ne pourront être exercés par les aveugles qu’autant que le public le voudra bien. L’opinion est pour nous le facteur essentiel. Elle est encore étrangement dominée par le préjugé de la cécité. C’est ce préjugé qui, je le répète, est l’obstacle principal à l’activité de l’aveugle et à son bonheur. L’idée, sans doute trop nouvelle encore, de l’aveugle laborieux ne pénètre qu’avec lenteur dans les esprits. Les aveugles travailleurs sont trop peu nombreux pour la répandre par l’exemple autant qu’il le faudrait, et l’expérience intime du clairvoyant lui rend difficile de croire qu’on puisse se développer et agir dans les ténèbres : c’est un