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au Prytanée. Puis il raconte comment la peine de mort a été votée par plus de voix que le verdict de culpabilité. Au milieu de la douleur et de la colère de ses amis, il leur retrace l’attitude de Socrate, lorsqu’il prit congé de ses juges.

LYSIS



Ah ! ceux-là ne sauront jamais sur quelle cime
Un homme peut porter une paix magnanime,
Qui n’ont point vu Socrate accueillir cet arrêt.
Il leur dit simplement qu’il n’avait qu’un regret,
C’est qu’ils allaient ternir le pur renom d’Athènes,
Pour n’avoir point songé que les saisons humaines
Emporteraient bientôt le vieillard qu’il était ;
Ils seraient châtiés par leur propre forfait,
Car ils portaient en eux un éternel outrage !

Avec ceux qui l’avaient absous par leur suffrage
Il désirait, dit-il, s’entretenir encor,
Avant d’être appelé par les Onze : la mort
Est un passage court de ce lieu vers un autre,
Ou bien un long sommeil auprès duquel le nôtre
N’est qu’un rêve agité qui nous délasse mal.
S’il est encore un peuple au climat infernal,
Quel chemin si fleuri qu’il égale la voie
Par où l’homme s’en va vers la durable joie
De voir les demi-dieux, les juges, les héros,
Ulysse, Achille, Ajax, Rhadamante, Minos,
D’entendre Orphée, Homère, Hésiode, Musée ?
Ainsi peut-il mourir l’âme tranquillisée
Celui qui vécut juste, intègre et bienfaisant ;
Derrière le trépas, rien d’amer ne l’attend.
Et c’est pourquoi, dit-il, il n’éprouvait de haine
Ni pour ceux dont le vote a décidé sa peine,
Ni, malgré leurs desseins, pour ses accusateurs.
Alors il souhaita qu’au temps venu les mœurs
De ses fils, grandissant sans lui, fussent guidées
Par les mêmes conseils et les mêmes idées
Pour lesquels il allait mourir dans quelques jours.

Ce qu’il disait ainsi n’était point un discours ;
Quelle harangue aurait surpassé sa parole,
Cet adieu familier d’un homme qui s’immole
Pour sa pensée, et qui, dès longtemps dégagé