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Dont il usait, lorsqu’il rencontrait des amis.
Dès lors, continuant comme il l’avait promis,
En propos modérés, unis, précis et justes,
Mais, comme il l’est lui-même, étrangement robustes,
Il reprit un par un les griefs. L’examen
Par lequel il les mit en poudre sous sa main,
Sous son aspect sans art, n’était rien qu’un chef-d’œuvre.
Comme un chasseur adroit étrangle une couleuvre,
Il saisit Melitus dans une question,
Et le tordant d’un seul et décisif affront,
Sans augmenter l’effort d’un esprit qui se joue,
Le laissa retomber dans sa honte et sa boue.
Sous cette causerie — à peine un plaidoyer —
On voyait se troubler, s’affaiblir et ployer
Les accusations, les accusateurs mêmes,
Dont les traits devenaient plus confus et plus blêmes.
« Vous m’accusez d’avoir, leur dit-il, corrompu
Et de corrompre encor les jeunes gens : j’ai pu,
Dénouant les liens de passions funestes,
En rendre quelques-uns de violens, modestes,
De paresseux, actifs, de prodigues, prudens,
D’avares, généreux. S’ils étaient impudens,
Mes mots seraient ici réprimés, à ma honte,
Car, en les prononçant, Athéniens, j’affronte
Les pères, les parens, que je vois parmi vous,
De ceux que je déclare avoir rendus plus doux,
Chastes et tempérans. Que Mélitus, s’il l’ose,
En prenne quelques-uns pour témoins dans ma cause,
Ceux-là m’accuseront ! Et s’il ne le fait pas,
Et si leur amitié me suit dans ces débats,
C’est comme s’ils étaient ici pour me défendre ;
Et n’est-ce pas miracle, ô Mélitus, d’attendre
Un service, un bienfait, un secours, un appui
De ceux auxquels tu veux que ma parole ait nui ?
Mais sais-tu, Mélitus, ce que dit leur silence,
Ce qu’il proclame haut avec plus d’éloquence
Que tu n’en dépensas tantôt pour m’accuser ?
C’est que tu n’es qu’un fourbe, un imposteur d’oser
Affirmer ce que nie et dément leur visage ;
Et peut-être toi-même aurais été plus sage