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rait comme chef d’escadre, et simple chevalier de Saint-Louis.

Son rival, au contraire, fut comblé de faveurs. Louis XIV lui accorda toutes les promotions qu’il demanda pour ses officiers : une médaille en or fut décernée à un second maître du Lys, qui avait amené le pavillon du Cumberland, et qui, pressé par un retour offensif des Anglais, s’était jeté à la mer avec ce pavillon, plutôt que de le rendre, et avait été recueilli par l’Achille. Ce second maître s’appelait Honnorat. Il fut fait premier maître ; il porta lui-même ce pavillon en grande pompe à Notre-Dame, en même temps que ceux des autres vaisseaux anglais.

Le Roi donna à du Guay-Trouin une pension de mille livres sur sa cassette particulière, pension que celui-ci fit généreusement reporter sur le second du Lys, M. de Saint-Auban, qui avait eu une cuisse emportée à l’abordage du Cumberland. Enfin, dix-huit mois plus tard, aussitôt terminée l’enquête habituelle en pareil cas, il lui accordait des lettres de noblesse, lui permettant de porter comme armes une ancre surmontée de deux fleurs de lys d’or, sur fond d’azur, avec cette devise : Dedit haec insignia virtus.

C’est que la dispersion de la flotte marchande avait eu les plus heureux résultats pour son petit-fils en Espagne. L’armée anglo-portugaise, privée des ressources qu’elle lui amenait, ne put venir en temps opportun au secours de Lérida, et cette place forte se rendit au Duc d’Orléans. Les historiens anglais admettent que ce convoi dispersé fit autant de mal aux affaires de l’archiduc, compétiteur du duc d’Anjou au trône d’Espagne, que la perte de la bataille d’Almanza.

Du Guay-Trouin passa à Versailles tout l’hiver de 1707–1708. Louis XIV aimait à le recevoir, et à l’entendre raconter les divers incidens de la bataille : un jour qu’il disait : « J’ordonnai à la Gloire de me suivre… — Elle vous fut fidèle, » repartit le grand Roi, habile à flatter les héros qui illustraient son règne. La gravure a popularisé ce mot, digne des deux interlocuteurs.

La postérité a ratifié le jugement de Louis XIV sur Forbin et du Guay-Trouin. Doué d’une bravoure et d’une audace reconnues de tous, et d’une grande force de volonté, Forbin n’était pas un caractère. On ne peut s’empêcher de le reconnaître en lisant ses Mémoires, dans lesquels il cherche constamment à se faire valoir, au détriment de ses chefs et de ses inférieurs, et paraît