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aurait des scrupules. La précision avant tout ! Et il développe jusqu’au bout son idée. M. Aulard ne vous fait grâce de rien. Il y avait alors en France, dit-il, 40 000 agglomérations. Même si Taine avait relevé 1 000 cas de troubles, « il n’en resterait pas moins, à prendre au pied de la lettre ses dires, que dans les trente-neuf quarantièmes de la France, il n’y avait pas eu de troubles. » Tel est dans toute sa candeur le dernier mot de la méthode historique de M. Aulard. Elle se confond avec l’arithmétique. Si vous apprenez que 1 000 localités sont troublées, une élémentaire soustraction vous rassurera sur le sort des 39 000 autres, qui sont forcément calmes et tranquilles. Cette extraordinaire argumentation se trouve à la page 79 du Taine historien.

Ce n’est pas d’ailleurs un accident. M. Aulard raisonne de même quand il s’agit de déterminer l’étendue de la documentation des Origines de la France contemporaine. Cette documentation est insuffisante. Taine n’a pas tout lu. Il a même peu lu, affirme M. Aulard. Comment le sait-il ? D’une manière bien simple. Il a relevé patiemment toutes les indications de sources données par Taine, et il tient pour acquis que Taine n’a rien consulté en dehors de ce qu’il a cité. Taine a beau déclarer qu’il a dépouillé « une multitude de documens manuscrits, la correspondance d’un grand nombre d’intendans, directeurs des aides, fermiers généraux, magistrats, employés et particuliers de toute espèce et de tout degré, pendant les trente dernières années de l’ancien régime… etc., » M. Aulard n’en a cure. Il prétend établir « à l’aide des cotes que Taine donne lui-même en références quels sont les cartons ou registres qu’il a réellement consultés aux Archives. » Et il en trouve peu. Telle série compte 92 cartons, Taine n’en cite que 36, donc il n’a pas ouvert les 56 autres. C’est une conception de la critique historique qui peut mener loin ! Pour paraître bien informé aux yeux de M. Aulard, il faudra désormais faire étalage de tout ce qu’on a consulté. L’essentiel ne sera plus de se documenter, mais démontrer qu’on s’est documenté. Au lieu de se documenter pour écrire, on écrira pour prouver qu’on est documenté. Il faudra entasser, même si elles sont inutiles, toutes les références imaginables. C’est une conception de professeur auquel ses élèves doivent prouver matériellement qu’ils ont effectué les recherches prescrites. A part cela, c’est une puérilité. Quand un