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pays différens, et chacun ignorait l’entreprise de l’autre. L’ouvrage de M. Bergson est de 1889 ; celui de W. James date de 1890. Dans la période de préparation, et tandis qu’ils élaboraient leur méthode séparément, les auteurs n’ont même pas eu connaissance, ainsi qu’il a été établi, de quelques études partielles publiées sur des sujets de nature à exercer sur eux une influence commune. La similitude de leurs conclusions est une rencontre instructive, elle atteste qu’à l’époque où ils méditaient et où des conceptions différentes des leurs étaient à la mode, des raisons générales et profondes invitaient les psychologues à une nouvelle méthode d’analyse. Il s’agissait de peindre la vie de l’esprit en expliquant ses rapports avec les données de la biologie, en lui gardant en même temps ce qu’elle a de propre. La psychologie de James, comme celle de M. Bergson, est d’accord avec les observations de l’école expérimentale ; et elle maintient aussi aux facultés humaines leur caractère irréductible à la matière organique. La théorie du courant de la conscience fait ainsi en quelque sorte rentrer l’esprit, reconnu comme tel, dans la nature.


III

Parmi les manifestations de la conscience, il en est qui ont particulièrement retenu l’attention de William James. Ce sont les sentimens religieux. Il en a parlé avec une entière liberté, avec respect, avec une profonde sympathie. Fidèle à sa méthode, il les a étudiés comme des faits donnés par l’expérience. Les historiens, les théologiens, les philosophes, les physiologistes ont tour à tour examiné chacun à leur point de vue les religions. James prétend traiter les phénomènes d’expérience religieuse en biologiste et en psychologue, sans se demander tout d’abord quelles sont leur signification et leur valeur ; il veut les saisir dans leur variété, et c’est le mot qui a fourni le titre même de son ouvrage ; il entend ne rien ignorer des phénomènes nerveux qui peuvent les accompagner, mais sans consentir à les subordonner à un simple matérialisme médical. S’il s’agit de comprendre la religion, écrit-il, il n’y a qu’une chose à faire, c’est d’étudier le contenu de la conscience religieuse. Quand on a traité saint François de « dégénéré, » ou quand on a dit que saint Paul sur la route de Damas a eu une « décharge