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pluralistique. Ces quatre ouvrages contiennent l’essentiel de sa pensée et l’ordre même dans lequel ils ont été composés indique la marche de ses recherches, le développement de ses tendances. Parti de la psychologie, il a passé à l’étude du sentiment religieux qui l’a conduit à la métaphysique et à la morale.

Mais vous vous feriez une étrange idée de William James si vous l’imaginiez comme un méditatif qui a élaboré patiemment et méthodiquement ces quatre livres et qui ne quittait jamais son cabinet de travail ou sa chaire. Nul professeur n’a été moins pédant ; nul écrivain n’a été plus heureusement dépourvu de l’esprit d’auteur. Ses traités sont souvent des recueils de conférences. Ce qu’il livre au public, sous forme d’imprimé, c’est ce qu’il donnait à ses auditeurs, et à ses amis dans ses conversations, c’est un enseignement oral. La conférence, faite devant les étudians des universités anglaises et américaines, a tenu une grande place dans sa vie philosophique ; il aimait la parole, la communication directe, l’exposé vivant ; il ne concevait pas le travail comme lié à la retraite ; au contraire, il paraît avoir toujours préféré sentir autour lui le mouvement de la vie. M. Emile Boutroux, qui a été son hôte, il n’y a pas longtemps, a fait une charmante description de la villa que le philosophe occupait à Harvard. « Isolée parmi les gazons et les arbres, écrit-il, construite en bois dans le style colonial, ainsi que la plupart des maisons du Cambridge universitaire, vaste, garnie de livres de haut en bas, cette demeure est merveilleusement propre à l’étude et au recueillement. La réflexion d’ailleurs ne risque pas d’y dégénérer en égotisme, car il y règne une sociabilité des plus aimables. Le library qui sert de cabinet de travail au professeur James ne contient pas seulement un bureau, des tables et des livres, mais des canapés, des banquettes, des fauteuils à bascule, accueillant les visiteurs à toute heure du jour, en sorte que c’est au milieu des gaies conversations parmi les dames occupées à prendre le thé, que médite et écrit le profond philosophe. » Cette manière moderne, c’est l’« école du plein air » de la philosophie. Nous voilà loin du poète de Descartes et de la chambre solitaire où Spinoza polissait ses verres de lunettes !

Un homme qui se plaît à travailler dans un décor si clair et si aimable n’écrit pas une langue hermétique. William James a horreur des jargons d’école. Il prétend s’adresser non à une troupe d’initiés, mais à tout le monde ; il parle pour tous ceux