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de Taine n’ont aucune valeur. Il les a « toutes vérifiées, du moins celles qui étaient vérifiables, » et il a été scandalisé du résultat. L’érudition de Taine est de mauvais aloi. Son énorme travail est superficiel, et « presque inutile à l’histoire. » Un candidat à l’agrégation « se disqualifierait s’il alléguait Taine comme autorité dans une question d’histoire. » Et M. Seignobos, abondant dans le même sens, n’a pas craint d’écrire que Taine était « probablement le plus inexact des historiens du siècle. » (Hist. de la litt. française de Petit de Julleville, t. VIII, p. 273.)

Cette condamnation, qui paraît si sûre de son fait, ne laisse pas d’émouvoir. Pourtant, si Taine peut se tromper, M. Aulard est-il infaillible ? Il y avait lieu de contre-vérifier ses critiques. Ce travail a été fait, au moins partiellement, par un jeune archiviste paléographe, qui est descendu à son tour dans la fosse aux documens avec une lanterne perfectionnée, et qui n’a pas cru irrévérencieux de faire subir à M. Aulard la même épreuve que celui-ci avait infligée à Taine (La crise de l’histoire révolutionnaire : Taine et M. Aulard, par Augustin Cochin). D’autres se sont demandé s’il n’y avait pas parfois dans tout cela quelque malentendu, et si certaines inexactitudes de Taine ne s’expliquaient pas par de petites défectuosités de travail matériel, qui n’enlèvent rien à la probité intellectuelle de l’historien, ni, d’une manière générale, à la sûreté de son information (Christian Schefer, Annales des Sciences politiques, 15 mai 1909). Taine n’était pas originairement un professionnel des Archives. Ajoutons qu’à l’époque où il a commencé à y faire des fouilles, il était sur bien des points un précurseur. Il avait des procédés de travail qui n’étaient qu’à lui. Il n’attachait pas assez d’importance au côté matériel du « métier » d’historien. Il ouvrait plusieurs cartons à la fois, empilait, dit M. de Boislisle, sur de grandes feuilles, les indications les plus disparates. Un autre s’y serait perdu ; lui-même ne s’y retrouvait pas toujours. Il lui est arrivé de laisser échapper certaines inadvertances, de se tromper de renvois. Il lui est arrivé aussi de ne pas remettre telle ou telle pièce à sa place, ce qui fait qu’on ne la retrouve pas du premier coup, bien qu’elle existe. Il ne faut pas oublier non plus que certains numéros de cartons ont été changés depuis le temps où il s’en est servi. Tout cela complique le