avertissement, son instinct est de fuir les hommes ; il souffre auprès d’eux : « Je voulus, dit-il, me jeter pendant quelque temps dans un monde qui ne me disait rien et qui ne m’entendait pas. Mon âme, qu’aucune passion n’avait encore usée, cherchait un objet qui pût l’attacher ; mais je m’aperçus que je donnais plus que je ne recevais. Ce n’était ni un langage élevé, ni un sentiment profond qu’on demandait de moi. Je n’étais occupé qu’à rapetisser ma vie, pour la mettre au niveau de la société. Traité partout d’esprit romanesque, honteux du rôle que je jouais, dégoûté de plus en plus des choses et des hommes, je pris le parti de me retirer dans un faubourg pour y vivre totalement ignoré. »
Il y a dans René un fond de sauvagerie qui lui fait aimer la vie errante et vagabonde, qui le pousse à rechercher la solitude, qui l’entraîne dans les déserts. Et cependant, il ne peut espérer, comme le cœur sensible, d’y trouver le bonheur. La solitude envenime son mal ; il s’indigne en lui-même d’être laissé seul ; il porte en lui des besoins que la nature ne peut satisfaire, une blessure qu’il n’est pas en son pouvoir de guérir : « Hélas ! s’écrie-t-il, j’étais seul, seul sur la terre ! une langueur secrète s’emparait de mon corps. Ce dégoût de la vie que j’avais ressenti dès mon enfance revenait avec une force nouvelle. Bientôt mon cœur ne fournit plus d’aliment à ma pensée, et je ne m’apercevais de mon existence que par un profond sentiment d’ennui.
« Je luttai quelque temps contre mon mal, mais avec indifférence et sans avoir la ferme résolution de le vaincre. Enfin, ne pouvant trouver de remède à cette étrange blessure de mon cœur, qui n’était nulle part et qui était partout, je résolus de quitter la vie… j’étais plein de religion et je raisonnais en impie… ma conduite, mes discours, mes sentimens, mes pensées n’étaient que contradiction, ténèbres, mensonges. Mais l’homme sait-il bien toujours ce qu’il veut ? Est-il toujours sûr de ce qu’il pense ? Tout m’échappait à la fois, l’amitié, le monde, la retraite. J’avais essayé de tout, et tout m’avait été fatal. Repoussé par la société, abandonné d’Amélie ; quand la solitude vint à me manquer, que me restait-il ? C’était la dernière planche sur laquelle j’avais espéré me sauver, et je la sentais encore s’enfoncer dans l’abîme ! Décidé que j’étais à me débarrasser du poids de la vie, je résolus de mettre toute ma raison dans cet