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le passage suivant d’une Vie de Rollin, de Guéneau de Mussy passage contemporain des romans qui nous occupent !

« Les enfans de cette génération nouvelle, dit-il, portent sur leurs fronts la dureté des temps où ils sont nés. Leur démarche est hardie, leur langage superbe et dédaigneux ; la vieillesse est déconcertée à leur aspect… Génération vraiment nouvelle, et qui sera toujours distincte et marquée d’un caractère singulier qui la sépare des temps anciens et des temps à venir… Déjà ils nous révèlent, malgré eux, toute la tristesse de cette indépendance que l’orgueil avait proclamée au nom de leur bonheur, et rendent témoignage à la sagesse d’une éducation si bien assortie aux besoins de l’homme, qui préparait à l’accomplissement des devoirs par de bonnes habitudes, hâtait le développement de l’intelligence sans le devancer, et retenait chaque âge dans les goûts qui lui sont propres. Ces apparences austères gardaient au fond des cœurs la joie, la simplicité, et une sorte d’énergie heureuse qui doit animer la suite de la vie. Maintenant, le jeune homme, jeté comme par un naufrage à l’entrée de sa carrière, en contemple vainement l’étendue. Il n’enfante que des désirs mourans et des projets sans consistance… Ses goûts et ses pensées, par un contraste affligeant, appartiennent à la fois à tous les âges, mais sans rappeler le charme de la jeunesse, ni la gravité de l’âge mûr. Sa vie entière se présente comme une de ces années orageuses et frappées de stérilité, où l’on dirait que le cours des saisons et l’ordre de la nature sont intervertis, et dans cette confusion, les facultés les plus heureuses se sont tournées contre elles-mêmes.

« La jeunesse a été en proie à des tristesses extraordinaires, aux fausses douceurs d’une imagination bizarre et emportée, au mépris superbe de la vie, à l’indifférence qui naît du désespoir. Ceux mêmes qui ont été assez heureux pour échapper à cette contagion des esprits, ont attesté toute la violence qu’ils ont soufferte. Ils ont franchi brusquement toutes les époques du premier âge, et se sont assis parmi les anciens, qu’ils ont étonnés par une maturité précoce, mais sans y trouver ce qui avait manqué à leur jeunesse. »

Voilà ce qui nous explique la prodigieuse sensation qu’excita la publication de René. Jamais livre ne trouva si bien sa date, son moment. C’était l’œuvre attendue, désirée ; René était le héros que souhaitait cette jeunesse inquiète et désenchantée et