Bologne, pour la châsse de Saint-Dominique, aucun artiste ne s’était trouvé mis en face de sujets actuels à traiter en des proportions pareilles, avec un tel développement, dans leur milieu réel, avec leurs vrais costumes. Il ne s’agissait plus, cette fois, de compositions traditionnelles à ranimer, de formules imposées à rajeunir, c’était un monde nouveau à composer et organiser de toutes pièces, en extrayant ses élémens de la vie environnante. Le coup de génie, chez Giotto, fut de saisir, avec une hardiesse et une décision supérieures, l’occasion offerte de reconquérir, d’un coup, toutes les libertés. Non seulement, il avait compris qu’il fallait retourner devant la nature pour utiliser les traditions, mais il avait encore compris, comme devait le répéter sans cesse, trois siècles après, son arrière-petit-fils Léonard de Vinci, qu’il fallait consulter constamment, presque uniquement, la nature et la vie. Il est déjà facile de suivre ici, ce qu’on pourra suivre encore dans les œuvres postérieures du grand artiste, sous l’action de cette pensée maîtresse : une évolution progressive dans la puissance d’observation, de conception, d’invention, qui le mettra, successivement, en face de tous les problèmes que peut soulever son art. Et tous ces problèmes, il les posera, étudiera, et, souvent, résoudra avec une hauteur de vues qui le feront encore admirer, consulter, vénérer comme un maître et un père par les plus grands artistes de la Renaissance et des temps modernes.
Déjà, voyez dans la première scène : Un habitant d’Assise jetant son manteau sous les pieds du jeune François, avec quelle netteté, sinon quelle maturité, s’affirme le génie clair et vif du Florentin franchement libéré de toutes les formules byzantines et imitations romaines, observateur sincère, compositeur réfléchi, exécutant soigneux. L’épisode, ignoré ou négligé par les chroniqueurs contemporains, ne se trouve rappelé que dans saint Bonaventure où le peintre l’a trouvé. La scène se passe sur la place d’Assise. L’acteur principal, nous dit la Légende, est « un homme très simple, » mais il y eut quelques témoins pour attester et commenter son geste. Nous sommes en pleine vie contemporaine. Giotto, dans son enfance, a pu recueillir l’anecdote de la bouche même de quelques octogénaires.
Il place donc la scène sur la grande place comme s’il venait d’y assister : au fond, le temple de Minerve et le palais communal ; de chaque côté du groupe principal, un couple de citoyens,