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effort est visiblement trop pénible et trop incertain pour secouer, tout à fait, le poids oppressant des formules et conventions séculaires. Les artistes, en ces sujets rebattus, restent encore impuissans à les rajeunir, à leur insuffler la candeur et la tendresse franciscaines qui, pourtant déjà, hantent leurs imaginations.

Non, il n’y a pas à s’y tromper !… C’est ici qu’apparaît le vrai Libérateur. Pour ceux qui ont frissonné, pensé, rêvé, devant les vieilles fresques de Giotto, dans la chapelle de l’Arena, à Padoue, dans les chapelles Bardi et Peruzzi de Santa Croce, à Florence, c’est bien le même nom, unique et glorieux, qui leur monte aux lèvres ! Oui, c’est bien lui, le fils robuste du campagnard toscan, le Florentin avisé, observateur, laborieux, en qui l’intelligence pratique des réalités s’associe à la noblesse supérieure de l’imagination et à la clarté libre de la pensée. C’est bien le compatriote, contemporain, ami de Dante Alighieri, qui, en même temps, avec un semblable génie, par une même association harmonieuse de vérité et de beauté dans leurs créations, ouvre à l’art, comme lui à la poésie, des routes et des perspectives encore ignorées, avec une grandeur de conception et une puissance d’exécution qui ne seront guère dépassées.

Ce n’est pas que nombre de questions, à ce sujet, ne soient encore pendantes. A quel âge, par exemple, dans quelles conditions de talent et de renommée, à quelles dates, combien de fois, Giotto est-il venu travailler dans la Basilique d’Assise ? Quelles sont les œuvres qu’on peut lui attribuer, soit dans l’église supérieure, soit dans l’église intérieure ? Quels y furent ses collaborateurs, les uns ses condisciples, les autres ses élèves ? Toutes questions intéressantes, assurément, et qu’il faut bien, dans une certaine mesure, essayer d’élucider, sans prétentions de les résoudre. Constatons, d’abord, les faits certains. Examinons ensuite les œuvres. Et peut-être, à défaut de dates écrites, si souvent trompeuses, nos yeux suffiront à nous donner de sérieuses probabilités. Pour les quelques œuvres de Giotto échappées aux ravages du temps et des hommes, trois dates seulement semblent certaines : celles de 1298 pour la commande de la Mosaïque, la Navicella dans la basilique Saint-Pierre à Rome, de 1206 pour la décoration de la chapelle dell’Arena à Padoue, celle de 1220 à 1230 environ pour les peintures dans l’église Santa Croce à Florence. Ce sont là les points de repère qui peuvent et doivent